Sur la route des Grands Crus
Dire que la Bourgogne est synonyme de vins exquis est presque un pléonasme, une tautologie. Et l’on ne peut pas être en Bourgogne sans faire la fameuse route des Grands Crus dont Chenôve constitue, convient-il de le souligner, la première étape. Depuis que je suis ici, j’ai eu le plaisir de visiter à plusieurs reprises la splendide campagne bourguignonne et ses magnifiques domaines viticoles. Je pus mesurer la beauté de tous ces petits villages qu’on croirait posés là tels des maquettes ou des décors de cinéma. Et chaque fois que je fais cette belle route vicinale qui fraye à travers un paysage bucolique, c’est le même enchantement, et la magie est invariablement au rendez-vous. J’ai eu ainsi à découvrir tout un chapelet de hameaux de toute beauté dominés par des châteaux irréels dont le seul spectacle vous comblerait d’aise.
Je parcourus avec ravissement ce pan de la route des vins allant de Chenôve à Beaune en passant par Marsannay-la-Côte, Brochon, Vougeot, Vosne Romanée, Les Nuits Saint George et Savigny-les-Beaune. Une fois, ma femme et moi poussâmes même jusqu’à Châlons-sur-saône. Les caves pittoresques et autres boutiques de dégustation se succédaient avec une frénésie orgiaque. Florilège de noms de domaines et autres marques de vins qui doivent certainement avoir une réputation bien assise pour nombre d’entre eux. Ils durent connaître de glorieux millésimes. Les vignobles sont nus en cette période de l’année. On ne voit que les plants de raisins qui laissent deviner en pointillés les grappes plantureuses qui pendouilleraient à leur cou à l’automne. Le tableau de ces interminables champs de vigne s’étendant à perte de vue est vraiment impressionnant. Les vignobles fantasmés se muent dans mon imagination en une grandiose féerie bachique. Je me plais à me représenter l’ambiance à la fois laborieuse et festive qui enflammera ces champs à l’heure des vendanges, au mois de septembre. Le calme qui règne sur ces belles plaines cèdera vite, alors, à la fébrilité des grandes récoltes. A quoi ajouter les flux de touristes appâtés par les premières pressées. D’ailleurs, il est remarquable de noter le nombre de résidences qui offrent des chambres d’hôte à des prix raisonnables pour accueillir ces inconditionnels des plaisirs de la Côte d’Or.
Parmi les nombreuses images qui retinrent mon attention au cours de ces escapades dionysiaques, une vente aux enchères qui s’était déroulée au château du Clos de Vougeot. Le lieu a l’allure d’une abbaye. D’ailleurs, je lis que le vignoble du Clos de Vougeot est l'oeuvre de l'abbaye de Cîteaux, fondée en 1098. Le château quant à lui fut bâti par Dom Jean Loisier, 48ème abbé de Cîteaux, en 1551. Inutile donc de préciser que l’édifice est un véritable monument historique. Il abrite depuis 1945 la confrérie des Chevaliers du Tastevin. Née le 16 novembre 1934 dans le "Caveau Nuiton" de Nuits-Saint-Georges comme elle le précise sur son site Internet, la confrérie s’inscrivait en droite ligne des anciennes confréries bachiques des 17ème et 18ème siècle dont elle se veut la résurrection. Lors de sa création, la confrérie présentait son action comme une réponse à la morosité économique mondiale consécutive au crash de 1929 dont le vin faisait fatalement les frais.
C’est donc dans ce château pittoresque aux pressoirs éblouissants que j’assistai à une vente aux enchères de vins de marque. C’est la première fois que je me trouvais témoin d’une telle cérémonie. Celle-ci se déroula en présence de Stéphanie Fugain, la femme de Michel Fugain, au nom de l’association Laurette Fugain de lutte contre la leucémie. Les vins se négociaient à des prix « enivrants » où se bousculaient les zéros à coups de 3000 et 4000 euros pour des cuvées, on l’imagine, précieuses. Moi qui ne suis pas œnologue pour un sou, je restai coi devant ce spectacle où les bouteilles à l’estampille d’or s’arrachaient au prix fort, de quoi vous donner le tournis sans avoir avalé une lampée d’alcool. J’eus l’occasion de visiter au passage l’un des plus beaux sanctuaires vinicoles de toute la Bourgogne. Les pressoirs de Chenôve ne doivent pas être différents. Je devinai ainsi tout l’art et l’ardeur que mettaient les cavistes de l’époque dans leur ouvrage.
Un autre jour, je fis un bon parcours du circuit des Hautes Côtes des Nuits Saint Georges grâce à mon amie Valérie de la bibliothèque de Chenôve que je remercie infiniment. Nous roulâmes en compagnie d’Aurélie et de Amina ma femme jusqu’au village de Chateauneuf en Auxois. Le château, là aussi un monument de haute lignée, date du 12ème siècle. Il est l’œuvre de Jean de Chaudenay qui y fonda une seigneurie, à ce que je pus lire dans un prospectus. Le périple s’apparente, à cet égard, à un voyage dans le temps, sur les traces de l’épopée des Ducs de Bourgogne et toutes les péripéties que connut leur règne. C’est étrange de se retrouver ainsi, dans des lieux aussi fantastiques. Impression de se mouvoir dans un conte médiéval ou dans un roman de cape et d’épée. La campagne alentour fleure bon l’air frais et l’insouciance, la paix de l’âme et la joie des sens. Exit le stress. Evacué mon marasme urbain profond. Des parterres de tulipes multicolores manquent faire perdre raison à Amina qui aurait volontiers élu domicile au milieu de ces partitions florales baroques si le choix lui en était donné. Quant à moi, j’avoue que j’étais totalement transporté, projeté en plein dans quelque roman de chevalerie ou un épisode des Trois Mousquetaires. Cela dit, je ne me voyais pas dans la peau d’un preux capitaine courant sauver une princesse kidnappée, mais plutôt dans celle d’un Don Quichotte s’escrimant avec des spectres par lui inventés et autres moulins à vent menaçants, épousant une forme humaine. Je me sentais diablement revigoré en tout cas par cette plongée exquise aux sources du meilleur des vins : le vin de la liberté.
Je ne pus m’empêcher, en admirant ces vignobles vigoureux et pleins de vie, d’avoir une pensée chagrine pour les vignes de mon pays dont quantité de coteaux ont été bêtement et tout bonnement sacrifiés dans les années 1970 au nom d’un rigorisme d’Etat avant que le puritanisme assassin du FIS et autres séides de droit divin ne massacrent le reste. Résultat des courses : la désertification lamine le Tell, la partie nord de l’Algérie.
Je m’étais risqué dans les années 1990 à réaliser un reportage sur les anciennes caves de la région de Médéa, ravagée par le terrorisme, et je pus mesurer le courage de cavistes téméraires qui continuaient presque clandestinement à tirer le vin sans le boire, et à traire la vigne au nez et à la barbe des barbus sanguinaires, au péril de leur vie. Pour cette raison, je promenais sur ces paradis viticoles de Bourgogne un regard par moments chargé de désolation et je songeai in petto au carnage écologique dont mon pays est le siège, à la fois sous les coups de boutoirs de l’impéritie de nos gouvernants et l’incivilité de mes compatriotes.
Moi qui bois peu – voire pas –, je fais tchin-tchin à la santé des bacchantes sanglantes qui irriguèrent les veines des cimetières de mon pays et firent avaler à la terre assoiffée le calice des infantes pures. Terre maudite, craquelée, arrosé au sang des innocents jusqu’à la lie. La carotide est tranchée, il faut la boire. Sanglants millésimes pour de nouvelles noces de Cana. Navré pour cette cène cruelle. Nous voici bien loin de la route des Grands Crus et ses châteaux médiévaux. Nous voici engagés sur la route, infiniment moins touristique, de la mortification christique de ma province écorchée. Ma douloureuse route des Chairs Crues.
Mustapha Benfodil
Dire que la Bourgogne est synonyme de vins exquis est presque un pléonasme, une tautologie. Et l’on ne peut pas être en Bourgogne sans faire la fameuse route des Grands Crus dont Chenôve constitue, convient-il de le souligner, la première étape. Depuis que je suis ici, j’ai eu le plaisir de visiter à plusieurs reprises la splendide campagne bourguignonne et ses magnifiques domaines viticoles. Je pus mesurer la beauté de tous ces petits villages qu’on croirait posés là tels des maquettes ou des décors de cinéma. Et chaque fois que je fais cette belle route vicinale qui fraye à travers un paysage bucolique, c’est le même enchantement, et la magie est invariablement au rendez-vous. J’ai eu ainsi à découvrir tout un chapelet de hameaux de toute beauté dominés par des châteaux irréels dont le seul spectacle vous comblerait d’aise.
Je parcourus avec ravissement ce pan de la route des vins allant de Chenôve à Beaune en passant par Marsannay-la-Côte, Brochon, Vougeot, Vosne Romanée, Les Nuits Saint George et Savigny-les-Beaune. Une fois, ma femme et moi poussâmes même jusqu’à Châlons-sur-saône. Les caves pittoresques et autres boutiques de dégustation se succédaient avec une frénésie orgiaque. Florilège de noms de domaines et autres marques de vins qui doivent certainement avoir une réputation bien assise pour nombre d’entre eux. Ils durent connaître de glorieux millésimes. Les vignobles sont nus en cette période de l’année. On ne voit que les plants de raisins qui laissent deviner en pointillés les grappes plantureuses qui pendouilleraient à leur cou à l’automne. Le tableau de ces interminables champs de vigne s’étendant à perte de vue est vraiment impressionnant. Les vignobles fantasmés se muent dans mon imagination en une grandiose féerie bachique. Je me plais à me représenter l’ambiance à la fois laborieuse et festive qui enflammera ces champs à l’heure des vendanges, au mois de septembre. Le calme qui règne sur ces belles plaines cèdera vite, alors, à la fébrilité des grandes récoltes. A quoi ajouter les flux de touristes appâtés par les premières pressées. D’ailleurs, il est remarquable de noter le nombre de résidences qui offrent des chambres d’hôte à des prix raisonnables pour accueillir ces inconditionnels des plaisirs de la Côte d’Or.
Parmi les nombreuses images qui retinrent mon attention au cours de ces escapades dionysiaques, une vente aux enchères qui s’était déroulée au château du Clos de Vougeot. Le lieu a l’allure d’une abbaye. D’ailleurs, je lis que le vignoble du Clos de Vougeot est l'oeuvre de l'abbaye de Cîteaux, fondée en 1098. Le château quant à lui fut bâti par Dom Jean Loisier, 48ème abbé de Cîteaux, en 1551. Inutile donc de préciser que l’édifice est un véritable monument historique. Il abrite depuis 1945 la confrérie des Chevaliers du Tastevin. Née le 16 novembre 1934 dans le "Caveau Nuiton" de Nuits-Saint-Georges comme elle le précise sur son site Internet, la confrérie s’inscrivait en droite ligne des anciennes confréries bachiques des 17ème et 18ème siècle dont elle se veut la résurrection. Lors de sa création, la confrérie présentait son action comme une réponse à la morosité économique mondiale consécutive au crash de 1929 dont le vin faisait fatalement les frais.
C’est donc dans ce château pittoresque aux pressoirs éblouissants que j’assistai à une vente aux enchères de vins de marque. C’est la première fois que je me trouvais témoin d’une telle cérémonie. Celle-ci se déroula en présence de Stéphanie Fugain, la femme de Michel Fugain, au nom de l’association Laurette Fugain de lutte contre la leucémie. Les vins se négociaient à des prix « enivrants » où se bousculaient les zéros à coups de 3000 et 4000 euros pour des cuvées, on l’imagine, précieuses. Moi qui ne suis pas œnologue pour un sou, je restai coi devant ce spectacle où les bouteilles à l’estampille d’or s’arrachaient au prix fort, de quoi vous donner le tournis sans avoir avalé une lampée d’alcool. J’eus l’occasion de visiter au passage l’un des plus beaux sanctuaires vinicoles de toute la Bourgogne. Les pressoirs de Chenôve ne doivent pas être différents. Je devinai ainsi tout l’art et l’ardeur que mettaient les cavistes de l’époque dans leur ouvrage.
Un autre jour, je fis un bon parcours du circuit des Hautes Côtes des Nuits Saint Georges grâce à mon amie Valérie de la bibliothèque de Chenôve que je remercie infiniment. Nous roulâmes en compagnie d’Aurélie et de Amina ma femme jusqu’au village de Chateauneuf en Auxois. Le château, là aussi un monument de haute lignée, date du 12ème siècle. Il est l’œuvre de Jean de Chaudenay qui y fonda une seigneurie, à ce que je pus lire dans un prospectus. Le périple s’apparente, à cet égard, à un voyage dans le temps, sur les traces de l’épopée des Ducs de Bourgogne et toutes les péripéties que connut leur règne. C’est étrange de se retrouver ainsi, dans des lieux aussi fantastiques. Impression de se mouvoir dans un conte médiéval ou dans un roman de cape et d’épée. La campagne alentour fleure bon l’air frais et l’insouciance, la paix de l’âme et la joie des sens. Exit le stress. Evacué mon marasme urbain profond. Des parterres de tulipes multicolores manquent faire perdre raison à Amina qui aurait volontiers élu domicile au milieu de ces partitions florales baroques si le choix lui en était donné. Quant à moi, j’avoue que j’étais totalement transporté, projeté en plein dans quelque roman de chevalerie ou un épisode des Trois Mousquetaires. Cela dit, je ne me voyais pas dans la peau d’un preux capitaine courant sauver une princesse kidnappée, mais plutôt dans celle d’un Don Quichotte s’escrimant avec des spectres par lui inventés et autres moulins à vent menaçants, épousant une forme humaine. Je me sentais diablement revigoré en tout cas par cette plongée exquise aux sources du meilleur des vins : le vin de la liberté.
Je ne pus m’empêcher, en admirant ces vignobles vigoureux et pleins de vie, d’avoir une pensée chagrine pour les vignes de mon pays dont quantité de coteaux ont été bêtement et tout bonnement sacrifiés dans les années 1970 au nom d’un rigorisme d’Etat avant que le puritanisme assassin du FIS et autres séides de droit divin ne massacrent le reste. Résultat des courses : la désertification lamine le Tell, la partie nord de l’Algérie.
Je m’étais risqué dans les années 1990 à réaliser un reportage sur les anciennes caves de la région de Médéa, ravagée par le terrorisme, et je pus mesurer le courage de cavistes téméraires qui continuaient presque clandestinement à tirer le vin sans le boire, et à traire la vigne au nez et à la barbe des barbus sanguinaires, au péril de leur vie. Pour cette raison, je promenais sur ces paradis viticoles de Bourgogne un regard par moments chargé de désolation et je songeai in petto au carnage écologique dont mon pays est le siège, à la fois sous les coups de boutoirs de l’impéritie de nos gouvernants et l’incivilité de mes compatriotes.
Moi qui bois peu – voire pas –, je fais tchin-tchin à la santé des bacchantes sanglantes qui irriguèrent les veines des cimetières de mon pays et firent avaler à la terre assoiffée le calice des infantes pures. Terre maudite, craquelée, arrosé au sang des innocents jusqu’à la lie. La carotide est tranchée, il faut la boire. Sanglants millésimes pour de nouvelles noces de Cana. Navré pour cette cène cruelle. Nous voici bien loin de la route des Grands Crus et ses châteaux médiévaux. Nous voici engagés sur la route, infiniment moins touristique, de la mortification christique de ma province écorchée. Ma douloureuse route des Chairs Crues.
Mustapha Benfodil
1 commentaire:
Tu fais très "frais" sur la photo, les mains dans les poches...Comment étais-tu après la visite des caves? J'aurais aimé voir la photo! Bises
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