samedi 29 mars 2008


L’atelier d’écriture : « Médias Fictions »

Jeudi 27 mars. Aujourd’hui a eu lieu la première séance de l’atelier d’écriture que j’ai mis en place dans le cadre de ma résidence littéraire à Chenôve. J’ai eu droit à un groupe inaugural d’une quinzaine de personnes réunis autour des charmantes tables de la Section Jeunesse au du 1er étage de la Bibliothèque municipale. J’avoue que ce premier nombre de volontaires dépassait mes espérances. J’ai même eu droit à deux petites princesses, Yasmine et Inès, qui veulent s’escrimer avec les mots pour faire des contes joyeux.

En faisant le tour de table pour que chacun puisse se présenter, je fus ému plus d’une fois d’entendre tous ces écrivains en herbe ou en gestation, se livrer, se raconter, bref, faire œuvre de littérature dans ce que cela a de plus brut et de plus vrai. Cela me fait penser à ce mot de Azzedine, l’informaticien lumineux de la Bibliothèque François Mitterrand lorsqu’il dit : « C’est plus qu’un atelier d’écriture : c’est un atelier de la vie. Ça transpire la vie ! »

J’ai élaboré un document de base à l’attention de toutes celles et de tous ceux qui seraient intéressés par cette aventure. Je me permets ici de le reproduire pour que les intéressé (e) s puissent avoir une idée de ce qu’est un atelier d’écriture, et, surtout, pour savoir ce que l’on va exactement entreprendre au fil de ces huit séances que j’ai regroupées sous le thème générique de « Médias fictions ». J’ai esquissé également un programme en précisant les dates de chaque séance afin que les gens prennent leurs dispositions s’ils désirent y participer. A la fin de cet argumentaire, je fournis deux exemples d’exercices pratiques pour donner une image plus précise de la manière dont nous allons appréhender les mystères de l’écriture par le biais de cet atelier.

Présentation générale :

Dans le cadre de ma résidence littéraire dans la ville de Chenôve, je vais m’employer, entre autres activités, à animer un atelier d’écriture intitulé « Médias Fictions ». De quoi s’agit-il ? Etant à la fois auteur et reporter, j’ai toujours été tiraillé par ces deux univers que sont la littérature et le journalisme, au point que cela frisait parfois la schizophrénie. Aussi, avec vous, grâce à vous, je souhaiterais questionner ces deux modes d’expressions, le discours littéraire et le discours médiatique, et disséquer leurs rhétoriques respectives.

Plus concrètement, et comme son nom le suggère, l’objet de cet atelier sera de déconstruire le Réel tel qu’il nous est restitué par les médias et le traiter autrement. Il s’agit, pour aller vite, d’opérer un détournement du matériau médiatique pour en tirer une matière littéraire. Le fait est que la presse, les journaux, foisonnent d’un nombre incalculable de sujets, d’informations, à propos de tout et de rien, et cela nous est jeté à la figure à une vitesse frénétique sans que nous ayons le temps de digérer cette quantité astronomique de stimuli. Il est davantage question d’interroger cette fine pellicule de réalité que l’on appelle « l’actualité ». Sur un autre plan, purement littéraire cette fois, il sera question de puiser dans l’immense réservoir d’histoires que charrient les medias en vue de « vampiriser » le Réel pour le « sublimer ».

Le matériau médiatique me paraît un corpus idoine, en l’occurrence, pour avoir une photographie instantanée de notre monde. C’est en quelque sorte le Réel à l’état brut, tel qu’il se manifeste dans sa version la plus immédiate. Nous verrons que la littérature est un excellent outil pour le transgresser, le transfigurer, le transcender et le subvertir, pas pour le rendre plus moche ni plus tendre, mais simplement pour le dire autrement, avec un zeste de poésie. Ce sera un bel exercice en tout cas pour se familiariser avec la langue, « les langues » de la presse, un bel exercice de style aussi, au regard de la profusion de styles qui composent les articles de presse, une opportunité intéressante pour nous initier aux mots et à leurs subtilités, apprendre à les taquiner, à les triturer, leur tordre le cou. C’est aussi une pédagogie ludique pour jouer avec les récits journalistiques et se jouer d’eux, présenter autrement le JT, en multipliant tous les écarts possibles, et toutes les transgressions, par rapport aux codes hiératiques de PPDA et consorts. Nous serons à notre manière des « guignols de l’info » avant de devenir, je l’espère, de bons auteurs de fiction. Nous verrons que, très souvent, la fiction dit mieux que tout nos « informations » les plus inavouées car, cette sorte d’informations, elles ont à voir avec l’inconscient, avec le tabou et le non-dit.

Nous verrons que la littérature, c’est le reportage de l’intériorité, la chronique de l’intime.

Esquisse d’un programme :

A partir de cet argument général, on peut esquisser un programme qui s’articulera donc autour de la transfiguration du matériau médiatique. Les contenus des séances vont ainsi s’alimenter de ces « fragments de Réel » que sont les coupures de presse qui seront, pour la circonstance, notre principal matériel de travail. Si les premières séances consisteront essentiellement à se familiariser avec les arcanes de la littérature par le biais du journalisme, l’objectif final, autant le dire tout de suite, serait idéalement de composer carrément, ensemble, un texte collectif.

De fait, il me semble qu’au-delà des exercices « ludico-scolaires » qui visent à prendre possession de l’art littéraire, la meilleure façon de s’initier à l’écriture, c’est…d’écrire, tout simplement. Et comme nous sommes censés travailler en atelier, donc, en groupe, l’idéal serait que nous puissions fédérer nos imaginaires et nos sensibilités autour d’un projet audacieux, en d’autres termes un vrai livre.

D’un autre côté, il se trouve que la ville de Chenôve est le lieu de ma résidence et le terrain privilégié de mon intervention. Je pense plus concrètement au quartier du Grand Ensemble. Partant de là, il m’a semblé judicieux de se pencher sur un symbole fort de ce quartier qui pourrait constituer un moteur à prose, un déclencheur de quelque chose. Ce symbole, cette métaphore, je les ai trouvés dès mon arrivée : je songe à l’immeuble Charcot qui va disparaître le 17 avril prochain.

Dès lors, mon projet était tout trouvé : écrire sur Charcot, cette métaphore en béton (au propre comme au figuré), symbole du destin de Chenôve, ville dortoir à ses débuts après avoir été le paisible village viticole de naguère, et qui, aujourd’hui, fait à nouveau sa mue, en laissant quelques lambeaux de vie dans le broyeur du temps.

Ce livre collectif dont je vous parlais à l’instant avait pour moi d’emblée un titre : Le Roman de Charcot. Je vous invite instamment à y apposer tous votre griffe.

Je ne voudrais pas en dire davantage pour l’instant. Je parlais d’un roman collectif, alors, il serait pour le moins malvenu de s’avancer sur quelque chose que nous sommes censés discuter ensemble.

Ce sera précisément le cœur même de cet atelier.

Thèmes et contenus des séances :

Séance du jeudi 27 mars 2008 :

- Prise de contact, tour de table. Chacun se présente en quelques mots.

- Introduction générale à l’atelier « Médias Fictions ». Petit exposé théorique sur la littérature et le journalisme. Le « style » littéraire et le « style » journalistique. L’information/la narration/les genres/ littéraires et journalistiques. Approche comparative.

- Qui pille qui ? La littérature, reportage de l’Absolu ? Le journalisme, récits de vie sans lyrisme ?

- Premiers exercices de style (voir volet pratique). Il serait peut-être intéressant de se partager en groupes de trois personnes pour effectuer ensemble les exercices.

Séance du mardi 1er avril 2008 :

- Séance spéciale expo « Ligne de Mire » qui nous offre un excellent matériau de la vie quotidienne à Chenôve.

- Il s’agira dans un premier temps de « regarder » ensemble l’œuvre de Fred Gagné et Hervé Scavone et de lister tous les mots que ces toiles nous inspirent. Initiation à l’écriture automatique.

Séance du vendredi 4 avril 2008 :

- Lecture des textes inspirés de l’expo « Ligne de Mire ».

- Exercices de style (suite) à base de coupures de journaux.

- Travail sur le portrait de feue Chantale Sébire.

- Analyse d’autres sujets colportés par les journaux, selon le choix des participants.

Séance du mardi 8 avril 2008 :

- Les Guignols de l’Info : un bon exemple de transgression.

- On visionnera ensemble des bouts de JT de PPDA sur TF1 et on le comparera avec le traitement de son alter ego en latex PPD dans les Guignols de l’info.

- Analyse de la presse satirique : Le Canard Enchaîné, Charlie Hebdo.

- Parodie d’un JT complètement désopilant, avec des adjectifs, de l’empathie, du pathos (tout ce qui est « prohibé » dans le journalisme orthodoxe).

Séance du vendredi 11 avril 2008 :

- Visionner ensemble le film « Chenôve Change » de Jean-Marc Bordet consacré à la démolition de l’immeuble Charles Péguy.

- Débat et commentaires autour du film suivi de brainstorming pour anticiper sur l’écriture du « Roman de Charcot ».

- Construire ensemble la trame et les personnages de façon à avoir la charpente du récit.

- Parallèlement au travail romanesque, chacun des participants songera à des détails sur l’immeuble Charcot. Recueillir dans un premier temps, sur le mode du reportage, le matériau sur lequel on va travailler en utilisant les techniques d’investigation journalistique apprises en atelier.

Séance du mardi 15 avril 2008 :

- Brainstorming général autour de l’immeuble Charcot avant sa démolition. Construction de l’intrigue.

- Quelques consignes générales d’écriture. Il s’agira probablement d’une petite nouvelle que chacun (ou par groupe) écrira dans son style et selon le genre qui lui convient (fantastique, réaliste, sketch, science-fiction, gore…).

Séance du vendredi 18 avril 2008 :

- On visionnera ensemble la démolition filmée de l’immeuble Charcot tombé la veille. Débat.

- Travail affiné sur les premières ébauches de textes.

- Les participants à l’atelier sont tenus de fournir leurs textes dans les trois jours qui suivent.

Séance du mardi 22 avril 2008 :

- Examen, un à un, des textes écrits.

- Une fois corrigés et mis en forme, l’ensemble des textes constitueront Le Roman de Charcot.

- Répétition générale avant la grande soirée littéraire où les textes seront lus devant le public.

VOLET PRATIQUE : QUELQUES EXERCICES DE STYLE :

DETOURNEMENT DE « UNE » :

C’est un exercice qui consiste à s’amuser avec la titraille des journaux, qu’il s’agisse de la « Une » ou des pages intérieures. Il s’agit dans un premier temps d’assembler ces manchettes sans forcément produire du sens, avec juste ce qu’il faut d’intervention syntaxique ou grammaticale. C’est un montage à l’évidence irrationnel, juste pour rire, comme pour souligner l’absurdité du monde dans lequel nous vivons. Dans une deuxième mouture, le challenge, c’est de parvenir à construire un récit cohérent à partir de sujets qui n’ont aucun lien entre eux en apparence, et ce, en y ajoutant des syntagmes soigneusement choisis pour assurer un enchaînement intelligent entre les sujets annoncés.

Exemple : cette « une » du journal Le Monde daté du jeudi 13 mars 2008

Principaux titres déclinés en première page :

- « Municipales : l’affrontement droite-gauche prend le dessus »

- « Agrocarburants : une fausse bonne idée ?

- « Les marchés saluent l’action concertée de la Fed et de la BCE. »

- « Une femme réclame le droit de mourir ».

- « Histoire et légendes de Babylone, cité du vice, du luxe et de l’exil »

- « Les Chinois font du ski. »

- « Maghreb : Al Qaida contre les touristes. »

- « Femme de science : Elizabeth Blackburn. »

- « Débats : Pour le don d’organes »

- Pub : L’excellence du voyage sur-mesure : Cie des Etats-Unis et du Canada »

Mis « mécaniquement » bout à bout, avec une intervention minimale, cela donne le récit abscons que voici :

« Aux Municipales, l’affrontement droite-gauche prend le dessus sur les agrocarburants. Une fausse bonne idée ? Les marchés, eux, saluent l’action concertée de la Fed et de la BCE d’une femme qui réclame le droit de mourir. Sacrées histoire et légendes de Babylone, cité du vice, du luxe et de l’exil qui pousse les Chinois à faire du ski pendant qu’au Maghreb, Al Qaida fait la chasse aux touristes parmi lesquels une femme de science : Elizabeth Blackburn. En parlant de science, débat : vous êtes pour ou contre le don d’organes ? Ah l’excellence d’un voyage sur-mesure en compagnie des Etats-Unis et du Canada ! »

Une mouture « raisonnée » donnerait le récit un tant soit peu cohérent que voici :

« Ça chauffe, ma parole, aux municipales ! L’affrontement droite-gauche a pris le dessus sur tout le reste pendant qu’une pauvre femme réclame le droit de mourir dans l’indifférence des Chinois qui font du ski dans le dos du Maghreb où Al Qaida mène une guerre sans merci contre les touristes. Une femme supplie la mort, oui messieurs dames ! Une bonne idée ? Une fausse bonne idée ? Une autre femme – qui a peut-être une autre solution - est portée au pinacle dans le monde scientifique : Elizabeth Blackburn. En parlant de science, je pense à la dernière invention en date : les agrocarburants, de l’essence bio, vous savez ? Je m’imagine faire le plein avec du jus de carottes… « 20 litres d’endives sans plomb s’il vous plaît ! » En tout cas, les marchés saluent l’action, de concert avec la Fed et la BCE, tandis qu’un autre débat fait rage à propos du don d’organes. Ah, si je pouvais plaquer tout ça et me payer un bon voyage sur-mesure. On fait une bonne promo en ce moment autour de la destination US, la Babylone moderne, la nouvelle cité du vice. Un luxe que je ne peux me permettre hélas ! Je ne perds rien, de toute façon. Je ne vais quand même pas payer une fortune pour me farcir les « busheries » de Mister George ! Et puis, c’est trop loin, les States ! J’ai un frère qui habite au Canada. C’est le bout du monde. Ça pue l’exil… »

EXERCICE DE MONTAGE :

Principe : Prendre des fragments de journaux, avec des infos en tout genre (actualité politique, économique, sportive, météo, programmes télé, people, horoscope, jeux), mélanger le tout et tirer au hasard des bribes d’articles. Tenter à partir de ces fragments de constituer un texte, pas forcément cohérent. Comme dans l’exercice précédent, il serait utile de mettre dans un premier temps les fragments de papiers bouts à bout de sorte à aboutir à un texte totalement incohérent et irrationnel. Dans un deuxième temps, nous nous évertuerons à recoller tous ces bouts de Réel éparpillés de façon à construire un récit qui, au final, se révèle fictif quand bien aurait-il un sens.

Je tire au hasard cinq fragments de journaux. Voyons ce que j’ai cueilli :

1er fragment : « Dans cette expédition en solitaire de cinq mois, avec mes dromadaires, j’ai mis au point une technique, celle de me déshydrater complètement le jour pour ne boire que le soir et la nuit. Ainsi, l’eau ne sert qu’à ma physiologie et non à la thermorégulation de mon corps. » Il s’agit d’une première dans l’expérimentation médicale humaine. Contraint d’abandonner, Régis Belleville en garde un certain regret mais s’est promis de retenter l’exploit, « marcher 4000 km et ne pas arriver au bout est toujours frustrant. J’ai besoin de passer du temps dans le désert. C’est un équilibre pour moi. » Sa Maxime : Quand le rêve n’est plus qu’un souvenir, une maxime que l’on pourrait ainsi adapter pour lui : Quand le point d’eau est atteint ».

2ème fragment : « Pour le droit de vote des étrangers hors UE, j’y suis favorable s’ils demandent la nationalité française. »

3ème fragment : « Après une matinée froide et ensoleillée, le ciel se couvre dans le courant de l’après-midi. Vent de nord à nord-est modéré. »

4ème fragment : « Le Solitaire du Sahara »

5ème fragment : « Connectez-vous ! »

6ème fragment : « Une conférence de presse contre le commerce de la fourrure (avec la photo de Pamela Anderson) Brigitte Bardot était restée chez elle, à Saint-Tropez, mais les deux femmes ses ont entretenues au téléphone. Après la courte diffusion d’un reportage qui lui a mis les larmes aux yeux lors de la conférence, l’actrice s’est confiée aux caméras de « 30 millions d’amis » en tête à tête, sur son engagement bénévole. La séquence sera diffusée dans le magazine des animaux sur France 3, dimanche à 12h50. »

Premier montage : (mécanique, en respectant l’ordre des papiers tirés).

« Dans cette expédition en solitaire de cinq mois, avec mes dromadaires, j’ai mis au point une technique, celle de me déshydrater complètement le jour pour ne boire que le soir et la nuit. Ainsi, l’eau ne sert qu’à ma physiologie et non à la thermorégulation de mon corps. » Il s’agit d’une première dans l’expérimentation médicale humaine. Contraint d’abandonner, Régis Belleville en garde un certain regret mais s’est promis de retenter l’exploit, « marcher 4000 km et ne pas arriver au bout est toujours frustrant. J’ai besoin de passer du temps dans le désert. C’est un équilibre pour moi. » Sa Maxime : Quand le rêve n’est plus qu’un souvenir, une maxime que l’on pourrait ainsi adapter pour lui : Quand le point d’eau est atteint. « Pour le droit de vote des étrangers hors UE, j’y suis favorable s’ils demandent la nationalité française » dit-il après une matinée froide et ensoleillée. Le ciel se couvre dans le courant de l’après-midi. Vent de nord à nord-est modéré au grand bonheur du Solitaire du Sahara qui s’écrie : Connectez-vous sur Pamela Anderson qui animait une conférence de presse contre le commerce de la fourrure. Brigitte Bardot était restée chez elle, à Saint-Tropez, mais les deux femmes ses ont entretenues au téléphone. Après la courte diffusion d’un reportage qui lui a mis les larmes aux yeux lors de la conférence, l’actrice s’est confiée aux caméras de « 30 millions d’amis » en tête à tête, sur son engagement bénévole. La séquence sera diffusée dans le magazine des animaux sur France 3, dimanche à 12h50. »

Deuxième montage : recherche de liens entre les différents fragments en choisissant les bonnes articulations sans forcément tenir compte de l’ordre dans lequel les bouts de papier ont été tirés. Dans cette mouture, l’intervention de la fiction reste limitée. Il s’agit de construire un récit cohérent à partir des fragments tels qu’ils nous sont présentés.

« Dans cette expédition en solitaire de cinq mois, avec mes dromadaires, j’ai mis au point une technique, celle de me déshydrater complètement le jour pour ne boire que le soir et la nuit. Ainsi, l’eau ne sert qu’à ma physiologie et non à la thermorégulation de mon corps. » dit Régis. Il s’agit d’une première dans l’expérimentation médicale humaine. Contraint d’abandonner, Régis Belleville en garde un certain regret mais s’est promis de retenter l’exploit. « Marcher 4000 km et ne pas arriver au bout est toujours frustrant. J’ai besoin de passer du temps dans le désert. C’est un équilibre pour moi » poursuit-il. Sa maxime : « Quand le rêve n’est plus qu’un souvenir », une maxime que l’on pourrait ainsi adapter pour lui : « Quand le point d’eau est atteint ».

Après une matinée froide et ensoleillée, le ciel se couvre dans le courant de l’après-midi. Vent de nord à nord-est modéré. Le Solitaire du Sahara se dit « Connectez-vous » en songeant à tous ces peuples du Sahara restés hors champ. Pendant ce temps, Paméla Anderson convoque une conférence de presse pour dénoncer le commerce de la fourrure. Son amie Brigitte Bardot était restée chez elle, à Saint-Tropez. Elle fit une déclaration à la presse où elle se fendit de cette sentence : « Je suis pour le droit de vote des étrangers hors UE, j’y suis favorable s’ils demandent la nationalité française. » Selon la presse people, les deux femmes se sont entretenues au téléphone. Après la courte diffusion d’un reportage qui lui a mis les larmes aux yeux lors de la conférence, l’actrice s’est confiée aux caméras de « 30 millions d’amis » en tête à tête, sur son engagement bénévole. La séquence sera diffusée dans le magazine des animaux sur France 3, dimanche à 12h50. »

Troisième montage : Tentative de construction d’un récit à la fois cohérent et libre où l’imagination prend complètement son envol. La réécriture est totalement autorisée et le délire aussi. Dont acte.

« Régis est un fou. Voici des années qu’il arpente le désert comme un chameau en quête de je ne sais quel exploit bizarre. Comme dans la fable de l’homme cheval, vous savez, ce film où Robert Redford causait aux chevaux de son quartier, lui, il faisait la même chose, le Régis, mais avec des dromadaires. Et pas la peine d’aller sur Wikipédia pour voir : dromadaire c’est un chameau à une bosse pour faire vite. Car beaucoup disent chameau pour tous les quadripèdes du désert dotés d’une bosse et d’un cou long alors qu’ils ne sont pas tous pareils. Le chameau, lui, en a deux, de bosses pas de…n’ayons pas l’imagination courte ! De toute façon, qu’ils aient une bourse, euh, bosse ou deux, ils crèvent de soif, les pauv bêtes, et c’est pas la Pamela Anderson qui va les pleurer, eux. Y a pas de caméras dans le désert, pas de Carla, pas de paparazzis, aucun risque d’être pris en photo, même pas du ciel à la Yan Arthus Bertrand, vous savez, le paparazzi des panoramas divins (il s’est fait coffrer dernièrement en Patagonie que j’ai entendu sur Yahoo, allez savoir pourquoi ?)

Régis, chtarbé comme il est, a voulu tenter donc une expérience du troisième type en se privant d’eau la journée en plein soleil tapant de midi et ne boire que la nuit, comme une chauve-souris. Ce n’était pas du suicide long, c’est une technique qu’il dit. « Ainsi, l’eau ne sert qu’à ma physiologie et non à la thermorégulation de mon corps » explique-t-il. Toujours avec ses idées choulous, le Régis. Il ne changera jamais. « Thermorégulation de mon corps » ??? C’est quoi ça ? Du bambara pour handicapés du cerveau, Régis ? Quand je pense qu’il s’est tapé 4000 bornes en plein no man’s land du Sahel, déconnecté de tout, lui, le Solitaire du Sahara comme l’appelle ma mère, sans toucher ce pourquoi il a fait tout ça en me chantant comme d’habitude le même refrain : « Tu me connais, Mustapha. J’ai besoin de passer du temps dans le désert. C’est un équilibre pour moi ». Oui, c’est ça ! Et moi, parce que je glandouille dans mon canapé septentrional, je suis un déséquilibré, c’est ça ? Et, de grâce, épargne-moi tes galimatias. Dès que je le chambrais, il me sortait une de ses maximes de vieux sage targui, un truc du genre : « Quand le rêve n’est plus qu’un souvenir, le point d’eau est atteint ».

Et moi, comme un scarabée, je tiens les piliers du quartier de peur qu’il ne s’envole. On annonce du vent pour l’après-m. « Après une matinée froide et ensoleillée, le ciel se couvre dans le courant de l’après-midi. Vent de nord à nord-est modéré. » anone la voix grippée de la Miss Météo de France 3 Bourgogne. Avant d’annoncer, juste après, une conf’ de presse devinez de qui ? Devine de qui, Régis ? De ton dromadaire ? De ton charabia ? Non Monsieur. Non, pas Carla, faut pas exagérer. Mais t’es pas loin. Paméla, mon cher, Paméla Anderson en Personne, la super binbo aux lolos gonflés à l’hélium qui part en guerre contre les bonnes dames en fourrure. Dommage que tu puisses pas te connecter avec ton chèche. Pendant que toi, tu crames dans le désert, sans eau, sans espoir, sans rien, oualou, nada, elle, elle fait son show en convoquant une conférence de presse pour soit disant flinguer ceux qui tricotent leurs hamsters dès que ça caille un peu. Entre deux fausse larmes, elle a pris le temps d’appeler son alter egale frenchy, j’ai nommé Brigitte Bardot. Il paraît que l’icône est toujours cloîtrée dans sa super baraque, à Saint-Trop’. L’ancienne égérie de Godard a reçu, semble-t-il, des journalistes dans l’entre deux tours pour leur dire de bien s’occuper de sa protégée californienne. Et comme c’était les municipales en France, elle fit un speech en faveur du droit de vote pour les émigrés « à condition qu’ils demandent la nationalité française » a-t-elle précisé. On ne sait pas si elle a eu des conciliabules avec M.Brice Hortefeux. On ne sait pas s’il s’agit d’émigrés lambda ou habillés en Prada. On sait par contre que Régis est toujours coincé dans sa thébaïde caniculaire, sans eau ni caméra, pas même un petit caméscope de quoi glisser un SOS dans le zapping de Canal + en faveur des peuples d’origine sans fourrure, pas même made in China… »





Châteaux HLM et Don Quichotte métallique

Ce vendredi 28 mars, j’ai été l’hôte du collège Henry Berger de Fontaine-Française (lire chronique correspondante). Au menu de ma visite il était, entre autres, écrit : « Visite historique et touristique de Fontaine-Française et de son canton ». Et ce fut un régal ! Grâce à Joëlle Mounier et Anne Philippe, deux profs chevronnées dudit collège par qui cette rencontre est arrivée, ma femme et moi avons pu apprécier les splendeurs de la Bourgogne profonde.

A Fontaine-Française, j’ai eu le plaisir de découvrir le château éponyme qui date du 18ème siècle. Un édifice somptueux au jardin édénique donnant sur un bel étang. Autre attraction à Fontaine-Française : les célèbres sculptures métalliques de l'artiste argentin: Carlos Regazzoni. Avec des objets de récupération (extincteurs, tuyauterie, plaques de fer usées et autres quincaillerie rouillée), le sculpteur a conçu dans un coin du village tout une panoplie d’œuvres de haute facture parmi lesquelles je crus déceler une statue équestre de Don Quichotte. Une véritable prouesse technique ! D’autres sculptures du même artiste sont visibles dans un autre espace du village.

Nous quittâmes Fontaine-Française et poussâmes jusqu’à la Franche-Comté. Juste à la limite des frontières séparant les départements de la Côte d’Or et de la Haute-Saône, nous tombâmes nez à nez sur le Château de Rosières. Un monument. Joëlle qui connaît très bien Bertrand le proprio, tenait absolument à me le faire découvrir. Elle m’a appris que ce château fort défendait la France puisque l'actuelle Franche-Comté était à l'époque espagnole. D’où le nom de Fontaine-Française, pour souligner qu’elle est 100% gauloise, la fontaine. Bertrand et Odile, sa femme, nous ont aimablement autorisés à visiter cette superbe citadelle digne d’un conte de fées. Je leur en sais profondément gré.

Nous enchaînâmes sur un deuxième château à la Romagne qui fut une commanderie de l’Ordre des Templiers dont les motifs et les inscriptions ornent les murs. Un véritable voyage dans le temps. Je n’ai pu m’empêcher de penser au Davinci Code, le roman de Dan Brown. Le château emblématique de Fontaine-Française reste le mieux entretenu. Justement : combien doit coûter, en temps, en argent et en personnel, l’entretien d’un château ? Une fortune, certainement. « Et s’il y avait des châteaux HLM » songé-je à un moment donné. Si j’étais châtelain, cela aurait vite tourné au grand bordel. Je me serais contenté des toilettes, moi qui adore lire dans les WC. Trêve de rêveries châtelaines. Il n’y pas de châteaux HLM, et puis, la vie de châtelain ne me ressemble pas trop, me consolé-je. Alain Robbe-Grillet, le pape du Nouveau Roman décédé récemment s’était, semble-t-il, fait payer le cumul de ses droits d’auteurs de la part de son éditeur, Jérôme Lindon (fondateur des Editions de Minuit) en se faisant carrément offrir un château. Un vrai. Belle manière de récompenser les écrivains.

Au retour, petite halte au village de Bèze (honni soit qui mal y pense), un de ces villages irréels que l’on croirait dessiné à la main. On dirait un décor de cinéma. Virée aux Résurgences de Bèze, la source à laquelle le village doit sa notoriété. L’eau minérale bout à la surface d’un bassin limpide. Impressionnant ! La lumière se détache avec grâce sur les façades des belles maisons en pierre. Des canards nagent paisiblement dans l’eau. Cela me fait penser à la fameuse « mare aux canards » du Canard Enchaîné. Ah les associations d’idées ! Breton et les Surréalistes en avaient même fait une technique d’écriture. C’est ce qu’on appelle l’écriture automatique, c’est bien cela ? Celle qui se nourrit, entre autres, du pouvoir hypnotique des rêves. 17h30. C’est l’heure de sortir du rêve pour retourner dans la vie.

Mustapha Benfodil






Avec les élèves du collège Henry Berger

de Fontaine-Française

Vendredi 28 mars 2008. Aujourd’hui, j’ai eu le plaisir de rencontrer les élèves du collège Henry Berger de Fontaine-Française. J’ai eu à cette occasion à vivre trois séances intenses, d’une heure chacune, avec les élèves de 3ème, 4ème et 5ème. Cela s’est passé dans la salle du Centre de documentation et d’information. Ce fut un vrai moment de bonheur. Les élèves m’ont vraiment épaté par leur vivacité, leur attention et la pertinence de leurs questions. « Quelle est la motivation qui vous pousse à écrire ? », « Quelle est votre source principale d’inspiration ? », « Avez-vous d’autres passions que l’écriture ? », « Ecrivez-vous aussi en arabe ? », « C’est vous qui avez choisi de partir en Irak ? », « Les histoires que vous racontez sont-elles vraies ? », « Combien de temps vous faut-il pour écrire un roman ? », « Quel est votre modèle d’écrivain ? », « Etes-vous censuré en Algérie ? ». J’ai toujours pensé que les plus jeunes, dans la naïveté même de leurs interrogations – si tant est qu’elles fussent naïves à en juger par leur qualité et leur acuité –, vous jettent à la figure les questions les plus profondes et les plus déstabilisants tant elles vont droit à l’essentiel. Et bien souvent, dois-je le confesser, ils me posent une colle car, cela fait tellement d’années que j’écris que je ne me pose plus les questions fondamentales de la littérature.

C’est dire combien ce genre de rencontres est important, pas seulement pour les élèves, mais aussi pour les auteurs en ce que cela leur permet d’aller aux sources de l’insolence juvénile. En ce qui me concerne en tout cas, la magie a opéré. De retourner ainsi sur les pas de son enfance, du temps où l’idée de devenir écrivain ne vous effleurait même pas l’esprit ou était dans les limbes, où cela était encore à l’état de rêve, de vague projet fou et totalement inespéré, est forcément une expérience surprenante. Aussi, de me retrouver, trente ans plus tard, dans la peau d’un auteur comblé d’honneurs me touche et m’émeut. Je n’ai jamais eu droit, à leur âge, de rencontrer un écrivain de mots et de chair. Et aujourd’hui que je suis de l’autre côté du miroir, je n’ai pas l’occasion dans mon pays d’aller à la rencontre de mes compatriotes potaches. Pourtant, l’exercice, loin d’être une simple opération mondaine, est, quand on y songe bien, vraiment d’importance : cela donne à la littérature toute sa dimension citoyenne en permettant d’en faire un art vivant plutôt qu’une langue morte, et du corpus littéraire, un corps pétillant plutôt qu’un épouvantail de papier. Des piles de mots déguisés en livres et enterrés dans les bibliothèques. C’est un peu cette image poussiéreuse que je garde quand je vois la façon avec laquelle on enseigne les Lettres dans plusieurs contrées du monde : un enseignement figé, scolastique et « militaire », réduisant la fabuleuse production littéraire à quelques textes triés sur le volet, très carrés, politiquement corrects et profondément réacs, suintant l’ordre établi, semblables à une police des mœurs. Une police de l’esprit. Des auxiliaires de censure, en somme. Et le stade terminal d’une telle conception des lettres, c’est d’en faire, au mieux, une langue du dictionnaire, coupée de la vraie vie, des tourments profonds de l’homme et du monde, et faisant des bibliothèques, des cimetières de livres.

Voilà qui explique en toile de fond pourquoi je suis toujours heureux d’aller dans les écoles. Je tiens à saluer à ce propos la belle initiative de Mme Joëlle Mounier et Mlle Anne Philippe grâce à qui cette rencontre a pu avoir lieu. Je remercie aussi Madame la Principale, Marie Grenier, pour son accueil chaleureux. Un grand hommage à tous les professeurs de ce collège qui respire la joie de vivre, de lire, d’étudier. Le collège compte 160 élèves issus de tous les villages alentours. Les profs les connaissent tous par leurs prénoms. C’est dire l’amitié et la complicité qui règne entre les uns et les autres.

Je le disais : j’ai été impressionné par les questions des élèves. Et ému par leur accueil et leur spontanéité, même mâtinée de timidité. L’un d’eux, Alexandre, a même eu la gentillesse de calligraphier un de mes poèmes, intitulé « Attentat à l’amour ». Mélanie, au nom des élèves, a eu la bonté de me gratifier d’un beau cadeau, deux superbes livres sur la région ; une région que Joëlle et Anne m’ont fait aimablement visiter, et qui m’a totalement séduit. Je vais en dire quelques mots dans ma prochaine chronique. Merci Henry Berger. Et merci les jeunes pour cette formidable énergie qui a rallumé mes illusions !

Mustapha Benfodil





jeudi 27 mars 2008




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Pari Gagné !

Mardi 25 mars 2008. 21h. Je rentre d’un vernissage absolument fabuleux de l’expo « Ligne de Mire » du duo Fred Gagné et Hervé Scavone. J’en suis encore tout remué ! Ce fut vraiment, sincèrement, grandiose ! Un pari gagné pour ce tandem artistique réuni à la faveur d’une résidence d’art qui a commencé en juillet. Frédérick est plasticien. Il est originaire du Québec et vit en France depuis 2001. Hervé, lui, est un artiste photographe qui s’est mis volontairement, dit-il, « au service du peintre ». Pourtant, on ne sent pas, en voyant les œuvres, que l’un s’est effacé en faveur de l’autre ou écrase l’autre. Au contraire, cette expo respire une parfaite harmonie, une parfaite complicité, entre les deux expressions. Les deux compères ont merveilleusement conjugué leurs talents, leurs regards, leur sensibilité, pour nous dire Chenôve, raconter autrement ses gens, ses rues, ses immeubles et ses maisons. « Notre errance dans la ville est en elle-même un geste créatif. Notre déambulation est notre premier acte artistique » écrivent-ils dans leur « manifeste » de création. Au final, ils nous offrent une palette d’images, d’ambiances, de tons et de couleurs absolument originale sur Chenôve. Un beau patchwork sur la ville et ses gens, fragments à la fois bruts et stylisés, des scènes de vie, de l’art interventionniste presque, qui a cependant le mérite de toujours transcender de quelques notes féeriques le quotidien et ses pesanteurs pour nous restituer Chenôve sous un jour tout à fait nouveau, étonnant, et pas du tout travesti pour autant. Une pellicule de magie sur un quotidien ni rose ni morose, juste humain et lumineux. Un beau mélange, du coup, entre l’humain et l’urbain, l’intime et le sublime, le trivial et le merveilleux, l’anecdotique et le somptueux. Quelle belle paire, je vous le disais bien, que celle que forment ces deux farfadets, l’un peignant avec ses coloris mêlés d’instantanés argentiques, l’autre avec de la lumière barbouillée de Réel. Et tous les deux avec leurs tripes et leur imagination. On le voit tout de suite : leur travail pue la passion. Une passion criante de Chenôve et de ses habitants, mosaïque de vies multiples qu’ils ont appris patiemment à connaître au fil de leur séjour artistique sous les auspices du Grand Ensemble. Ici, des bouts de boîtes aux lettres simulant une carcasse d’immeuble, là, des photos de Hervé transperçant les boyaux éventrés de l’immeuble Charcot, prélude à sa démolition le 17 avril. Le montage est chaque fois surprenant. Fulgurant. Singulier. Une sacrée symbiose photo-picturale, j’y insiste. J’ai beaucoup aimé la scénographie aussi. L’Espace culturel de la Bibliothèque François Mitterrand où se tient cette exposition est recouvert de féerie métallique. Les objets les plus anodins y sont disposés avec poésie, de cette poésie à la Francis Ponge, celui du Parti Pris des Choses donnant sa valeur aux trucs les plus triviaux, et trouvant matière à tout sublimer. On sort de cette installation époustouflante absolument étourdi, jetant sur les immeubles alentours et les gens, et les commerces, et les trottoirs, et les grues, un regard nouveau. Un regard tendre et plein d’enchantement. Paris gagné les gars ! J’aurai l’occasion de revenir avec plus de détails sur cette œuvre importante et le parcours de ses auteurs. L’expo se prolonge jusqu’au 12 avril. A ne rater qu’en cas de mort subite !

Mustapha Benfodil

Pensée : Je tiens à rendre un fervent hommage à cet immense journaliste qu’était Thierry Gilardi qui nous a quittés ce mardi 26 mars. Merci d’avoir fait du football un sport humain et joyeux. Merci Monsieur Gilardi !

mercredi 26 mars 2008



PASCALE CHARBONNEAU
la bibliothécaire enchanteresse

Dès le premier mail que je reçus d’elle, j’adoptai Pascale. Ses mots respiraient une telle bonhomie, une telle vivacité, que je n’eus guère de mal à deviner le continent de générosité qui se profilait derrière ces courriels. Et ma rencontre avec Pascale confirma mes intuitions. J’eus d’emblée la sensation que je connaissais depuis toujours cette fringante belle dame aux grands yeux souriants sur laquelle le temps ne semblait point avoir de prise. Aussi ne vais-je pas taire son âge par scrupule mais par simple hommage à son inépuisable énergie et intarissable bonne humeur.

Depuis septembre 2007, Pascale Charbonneau est affectée aux Affaires Culturelles de la mairie de Chenôve, et ce, après vingt-six ans de bons et loyaux services en tant que directrice de la Bibliothèque municipale François Mitterrand. Un quart de siècle au service des livres et des lecteurs, n’est-ce pas qu’elle mérite le titre de Chevalier des Lettres et des Arts, notre chère Pascale ?

Je dois avouer que j’ai été, dès mon arrivée, interpellé par cette bibliothèque plantée au beau milieu du Grand Ensemble, et qui fait un travail remarquable envers le quartier, son environnement naturel, mais aussi toute la ville de Chenôve et l’agglomération voisine, rayonnant à plusieurs kilomètres de livres à la ronde. J’ai voulu donc, pour étrenner ce blog, commencer par là : ce lieu mythique où se retrouvent des jeunes, des mômes, des personnes âgées, des Maghrébins, des Africains, des Français de souche ou d’élection, des gens de gauche, de droite, de nulle part, au premier degré pour chercher un livre, un DVD, consulter Internet, un magazine ou pour étudier, mais aussi (surtout ?), pour faire des rencontres, jeter des liens, croiser des gens, échanger un mot avec Valérie, Chantal, Emmanuel ou Simon, écouter Nadine donner vie à un conte ou solliciter Azzedine, le Monsieur Internet, pour un conseil en informatique. Car ils sont une flopée d’anges gardiens affables et généreux, d’une disponibilité proverbiale, qui sont toujours prompts à vous servir avec une grande humilité, et qui veillent sur « La Maison » avec une belle abnégation. La « Maison ». J’ai relevé que Pascale employait naturellement, affectueusement, ce mot pour désigner la bibliothèque. Un lieu devenu à tel point familier, « familial », qu’il ne pouvait, en effet, qu’emprunter cette dénomination. Et je le sentais chaque fois que je franchissais le seuil de ce lieu chaleureux, inondé de bonnes ondes. Ce lieu que Pascale a vu grandir, évoluer, jusqu’à devenir un monument hautement symbolique de Chenôve, un sanctuaire de la culture. Qui donc mieux que Pascale pour me le raconter, me raconter sa jeunesse, sa genèse, la formidable histoire de ses murs, le destin de l’une s’étant totalement confondu avec celui de l’autre.

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Pascale est arrivée à Chenôve en 1982. Et c’était avec la mission explicite d’ouvrir l’actuelle bibliothèque municipale. « Je suis arrivée exactement le 1er mars et je devais ouvrir la bibliothèque au public le 1er avril » se souvient-elle. Pascale est originaire de Saône et Loire. Avant de devenir l’admirable directrice que les habitués de la bibliothèque connaissent, elle avait fait de l’alphabétisation au profit d’un public essentiellement maghrébin. « Il y avait des Turcs aussi » précise-t-elle. C’était dans la ville de Gray où elle habitait. « J’ai adoré apprendre à lire à toutes ces bonnes gens. Je voyais le résultat très rapidement. Il faut dire que les hommes étaient moins assidus que les femmes qui mettaient plus d’ardeur à l’ouvrage. Elles arrivaient avec des beignets pour la pause » raconte Pascale. Chaque fois que l’une d’elles arrivait à lire dans un livre, Pascale le vivait comme une victoire sur l’illettrisme. Un petit pas sur la lune. L’avant et l’après le verbe devait un peu être dans son entendement comme un avant et un après le néant tant l’accès aux lettres est vécu – et sans jeu de mots – comme un accès entier à l’Etre. Imaginez l’enfer d’une personne qui ne sait pas lire, et ce, dans un monde où ces « cryptogrammes alphabétiques » sont partout, absolument partout, de la poste à la sécu. C’est un peu comme un aveugle avançant à tâtons dans un tunnel plein de trous.

Pascale connaît parfaitement les codes de la culture maghrébine, et pour cause : elle vécut deux ans en Tunisie, de 1967 à 1969. Son adorable mari, Jean-Louis, y avait été affecté au titre du service militaire, une mobilisation qu’il avait préféré passer sous la forme civile dans le cadre de la coopération avec la Tunisie. « A l’époque, tous les étudiants qui étaient passés par les grandes écoles fuyaient le service militaire. La coopération était une opportunité intelligente. Il fallait éviter à tout prix la caserne » dit Pascale, avant d’ajouter : « On avait demandé Madagascar et la Tunisie en second. Mais pour Madagascar, il nous fallait payer notre voyage, or, on n’avait pas un rond. C’est ainsi qu’on a atterri dans le sud Tunisien ». Et le jeune couple de se retrouver à Médenine, en plein désert. Pascale était à l’orée de ses 20 ans. « Ce fut un moment fondateur pour notre petite famille, la Tunisie » souligne Pascale avec un brin de nostalgie dans la voix. Jean-Louis devait y enseigner le dessin technique dans un collège devenu un grand lycée depuis. Le premier fils de Pascale naît ainsi à Sfax. Et ce n’est autre que le journaliste et écrivain Nicolas Charbonneau qui passe actuellement sur i-télé après avoir été grand reporter à RMC et Europe 1. Il a fait le Rwanda, le Kosovo, la Tchétchénie, ce qui lui vaudra le Prix Bayeux des correspondants de guerre en 1998. Maximum respect ! Il vient de sortir un livre intitulé : La Vème république pour les nuls. Pascale se rappelle comment le futur grand reporter tombait malade en Tunisie : « Ce fut une vraie expérience qui n’a pas été facile parce qu’en fait, mon mari aussi bien que mon fils Nicolas ont été malades. Jean-Louis avait chopé l’amibiase. Moi, par contre, j’étais en pleine forme » Cela ne m’étonne pas. Quand on connaît le caractère de Pascale, son humour, son tempérament jovial et son enthousiasme tonique, il est très difficile de l’imaginer maussade ou asthénique…Ce qui la frappa par-dessus tout, c’était « l’expérience de la nudité » comme elle dit, comprendre la frugalité de cette vie qui jurait avec la société de consommation qu’elle avait laissée derrière elle, et qui, au même moment, était frénétiquement démontée par l’insurrection de Mai 68. Depuis cette belle parenthèse rustique, Pascale est retournée plusieurs fois en Tunisie en compagnie de son mari, un pays pour lequel, dit-elle, « nous avons énormément de tendresse ».

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Après avoir été pendant longtemps femme au foyer « pour élever mes enfants chéris », Pascale qui avait « toujours rêvé d’être libraire ou bibliothécaire », décide de passer son diplôme de bibliothécaire à Dijon et l’obtient haut la main. Elle envoie son CV un peu partout. Dans un premier temps, elle décroche un poste dans une petite bibliothèque nichée dans un coin de montagne à 160 kms de chez elle, une ville industrielle du nom de Oyonnax, dans l’Ain. Elle s’y occupait de la section jeunesse, une fonction qui ne l’égayait pas tellement. « Je faisais des scoubidou avec les enfants » sourit-elle en y songeant. Son CV avait continué de circuler entre temps, si bien qu’il atterrit sur le bureau de Christiane Lucas, la directrice des affaires culturelles de l’époque à la mairie de Chenôve et qui est aujourd’hui un membre très actif de l’association « Un Livre, Une Vie ». Christiane propose donc un poste à Pascale dans la ville de Chenôve. Pourtant, avoue-t-elle, « mon CV n’était pas du tout conforme : d’abord, c’était manuscrit, ensuite, je m’y étais contentée de raconter ma vie, ce qu’il ne fallait pas faire. C’est ma naïveté qui avait parlé. J’avais envie d’être moi-même. Ce qui avait joué en ma faveur, en définitive, c’était le fait que j’avais une expérience auprès de la population émigrée ».

Un dimanche de février 1982, Pascale vient visiter Chenôve avec son mari afin de s’imprégner des lieux. La première chose qui attira son attention, c’était le paquet d’immeubles que percuta son regard, « moi qui n’avais jamais habité que des baraques, même pourries, avec un jardin, de la lumière ». Elle est un peu effrayée par ce décor de barres et de tours, il faut le dire. Mais elle ne se fera pas longue à s’habituer à ce panorama urbain. Le béton de la bibliothèque la rebute ? Qu’à cela ne tienne ! Son caractère trempé sera plus tenace que la grisaille ambiante. Son premier chantier ? « C’était de mettre en route une petite bibliothèque au cœur d’un grand ensemble qui, à l’époque, n’était pas trop problématique encore. On ne parlait pas tellement des banlieues » dit-elle. Pascale avait un mois pour tout mettre en place. Avant, il y avait un semblant de bibliothèque tout de même. « Le lieu était tenu par les dames patronnesses » dit Pascale. « Il y avait une bibliothèque qui était gérée par l’ABC, L’Association bourguignonne culturelle, qui était animée par de bonnes dames dijonnaises. Une bibliothèque d’assoc’ un peu catholique, avec des romans choisis. Dans le rayon géographie, il y avait l’histoire de l’AOF, l’Afrique orientale française, l’AEF, l’Afrique équatoriale française, des livres de 1956… On était en 1982 quand même. Donc, j’avais fait un bon carton de toutes ces archives-là en me disant qu’il ne fallait vraiment pas les jeter ». Pour Pascale, la tâche s’annonçait ardue. Une entreprise aux allures de défi. « C’était un fond à reprendre complètement » réalise-t-elle. Il fallait dépoussiérer le lieu, le « désacraliser » en regard des cités qu’il y avait tout autour, tous ces immeubles aux noms tellement romantiques et tellement…littéraires : Lamartine, Berlioz, Charles Péguy, Georges Sand…

L’implantation de la bibliothèque au milieu du Grand Ensemble, le cœur urbain de Chenôve, à la lisière de la Place Coluche (tout un symbole !) était à l’évidence un beau pari et un choix judicieux de la part du maire de l’époque, le défunt Roland Carraz. C’est un lieu de tous les passages, de tous les brassages. Pour Pascale, c’était le terreau d’une aventure humaine absolument fantastique. « C’était un passage obligé pour les gamins au retour des écoles. Il n’y avait pas le marché à l’époque, mais il y avait un bon petit centre commercial qui était beaucoup plus actif que maintenant » se souvient-elle. Le quartier respirait une certaine fraîcheur juvénile. Les « émeutes » qui devaient faire la (mauvaise) réputation de Chenôve étaient des événements mineurs en ce temps-là. « Elles étaient moins importantes que dans les banlieues lyonnaises. On parle beaucoup des banlieues parisiennes mais à l’époque, c’étaient les banlieues lyonnaises qui chauffaient plus dans les années 1990. En banlieue parisienne, les villes étaient tenues par le Parti communiste, et le PC, au niveau de la gestion communale, est bon. Les bibliothèques étaient assez exemplaires. Il y avait de grandes médiathèques. Ça s’est développé très tôt » dissèque Pascale. L’ex-directrice garde toutefois en mémoire quelques épisodes de haute tension qui allaient vite déborder les cités pour s’étendre vers le bâtiment aux livres. « Ici, il y a eu des moments durs. Mais c’est après 1996, autrement dit, après l’ouverture de la grande bibliothèque que ça a vraiment bardé. Un soir, je me souviens très bien, je me suis retrouvée au milieu de 17 garçons qui avaient fait brusquement irruption dans la bibliothèque. C’était la seule fois où j’ai eu peur. D’habitude, je n’ai jamais peur en pareilles circonstances. Jamais ! Ce soir-là, il y avait un type que je ne connaissais pas. J’ai appris plus tard qu’il venait de Lyon. Il avait une tête de meneur. Ça devait stimuler les petits jeunes qui devaient voir en lui une espèce de caïd. Ce n’était pas comme d’habitude, et c’est pour cela que j’ai été prise de peur. Qui plus est, j’étais seule face à eux. Ils avaient fumé des pétards et faisaient du chahut. Je leur ai demandé de se taire, puis, je les ai priés de sortir. Ils sont arrivés assez vite en faisant du bruit, mais le bruit, ce n’est pas ce qu’il y avait de plus gênant. C’était surtout qu’ils envoyaient valdinguer les livres. Ajoutez à cela les insultes. Mais ce n’était pas normal. Avant, je prenais de grands gaillards par le bras et les faisais moi-même sortir. Maintenant, avec la configuration des lieux, c’est moins facile. Avant, il y avait un grand couloir et j’embarquais des grands qui faisaient 50 cm de plus que moi. Je les tenais par l’épaule, je tenais beaucoup à toucher leur pull, et je les accompagnais jusqu’à la porte. Je me disais attention, tu vas peut-être prendre une baffe, mais je n’en ai jamais pris. Je leur disais : « Vous avez été odieux, franchement, je ne veux plus vous voir ici ! Vous revenez demain et encore, ce n’est pas sûr » Et ils respectaient ça. Ce qu’il y a de drôle, c’est que quand je passais dans le kiosque (le coin presse), il y en avait qui étaient vautrés dans leur fauteuil, les pieds sur la table, et dès qu’ils me voyaient, ils se redressaient et se tenaient correctement. J’avoue que cela me faisait plaisir. Pris individuellement, il y avait des gamins intéressants. C’était cultivé par quelques-uns mais je crois aussi qu’il y a eu un moment charnière où ces gamins ne voulaient plus prendre le marteau-piqueur comme papa. J’ai entendu des choses sur la colonisation du genre : « Ouais, si vous avez une maison, c’est avec la sueur de mon père ». Ils faisaient tout pour me mettre mal à l’aise. Mais en même temps, cela amenait des discussions. Je leur disais : oui je comprends, mais vous devez bosser à l’école. Il fallait donc sans cesse leur rabattre le caquet. Malheureusement, beaucoup avaient compris qu’il fallait arrêter les cours et tenir le hall des immeubles ».

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Comment le rapport entre la bibliothèque et le quartier d’accueil a-t-il évolué, demandé-je à Pascale ? Il est aisé de deviner que la relation de bon voisinage ne s’établit pas de prime abord. Il fallut négocier la présence de ce « corps étranger » qui venait s’agglutiner au paysage. « J’étais là depuis 15 jours à peine et j’ai reçu un papier anonyme sur lequel il était écrit : « Pascale, tu es une grosse pute ! ». Il s’est avéré que l’auteur était une petite Française bien de chez nous. On a eu des carreaux cassés, on a eu des insultes, de tout. Au début, c’est forcément un peu conflictuel. Mais il n’y avait pas une agressivité exagérée. C’était, disons, une période de test. Il y a eu comme ça, successivement, des périodes de test. Là où ça a commencé vraiment à se gâter, c’est quand de vrais loubards se sont mis à s’en mêler. De vrais connards, de gros bêtes. Qu’est-ce qui pouvait les animer sinon le plaisir de faire péter une grande vitre ? Rien d’intelligent, en somme. J’ai pensé dernièrement aux événements de Villiers-le-Bel et n’ai pu m’empêcher de faire un parallèle avec la bibliothèque qu’on y a brûlée. Cela a été longtemps ma hantise qu’ils brûlent la bibliothèque parce que on n’est jamais à l’abri du geste d’UN imbécile. Il y a aujourd’hui encore des voitures qui brûlent. Je ne sais pas s’il y en a eu ces jours-ci mais il y en a eu toute l’année. Cela dit, ils n’ont jamais touché à ma voiture ». Pascale touche du bois. Quand je vois des jeunes qui ne font pas spécifiquement partie de la « clientèle » habituelle de la bibliothèque s’adresser à elle avec tant de déférence et de respect, je comprends mieux le rapport qui fut le sien aux enfants du quartier. Un rapport que Pascale n’hésite pas à placer sous le signe de la « maternité », véritable « Bibliothèque de la Tendresse » qu’elle est pour un monde qui en manque cruellement. « Je pense que j’ai eu un rapport assez « maternant », je pense qu’ils ont senti ça, que je les chérissais un peu. C’est vrai qu’il y en a qui avaient des têtes d’anges. Je dirais que j’avais des pulsions d’adoption. Il y a des petits cons aussi, pleins de malice. J’ai toujours pensé que j’étais un peu leur mère. Je voyais que ça leur manquait. Sans faire de bons sentiments, ce n’était pas difficile. J’ai des garçons, j’ai grandi dans une famille de filles, j’aime les petits gars…Du coup, ils ne m’impressionnaient pas quand ils jouaient à leur petit jeu ». Elle avoue tout de même avoir quelque mal avec ceux qu’elle nomme « les gros bêtes », sans l’accord d’usage, comme ça, « gros bêtes », peut-être pour souligner leur irréductibilité de sauvageons primaires.

Grâce à son engagement et à son immense sensibilité, Pascale a su conquérir en très peu de temps même les mauvais garnements. On imagine dès lors son effet sur les publics de la bibliothèque et surtout sur son ancienne équipe, ce personnel dévoué, avenant, amical et généreux qui m’a accueilli comme un enfant de « la Maison ». Pascale me dit qu’elle avait commencé avec quatre collaborateurs uniquement. Oui, quatre, elle comprise. « Des collabroratrices, plutôt » précise Pascale. « En 1991, on était saturés. L’espace était saturé, le public était saturé parce qu’il n’y avait plus de place et l’équipe aussi était crevée et saturée». Il fallut donc agrandir la famille. Aujourd’hui, ils sont plus de dix.

Côté patrimoine, Pascale débuta avec un modeste fond de 6000 titres, dont 5000 étaient obsolètes, « bons pour être offerts à Emmaüs ». Aujourd’hui, la Bibliothèque François Mitterrand compte plus de 100 000 titres. Parmi ses précieux trésors : un impressionnant fond BD de quelques 7000 à 8000 albums, le plus important de l’agglomération dijonnaise. Il offre, qui plus est, la possibilité aux amateurs de Enki Billal, Marjan Satrapi et compagnie d’avoir la série complète de chaque auteur.

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On peut le dire sans grand risque de se tromper : cette bibliothèque municipale est l’un des plus importants lieux de métissage, pas uniquement de Chenôve ou de l’agglomération, mais de toute la Côte d’Or. On y croise des publics de tout âge, de toute origine et de toute condition. Depuis que j’ai eu l’honneur d’y avoir une carte, j’y ai fait plein de rencontres étonnantes et plus intéressantes les unes que les autres. « Les publics ont évolué avec le temps » me dit Pascale. « Ce sont en fait les adultes qui ont évolué. On a toujours eu toutes les couches de la population au niveau sociologique. On a même des dames au collier de perles. Beaucoup de nos lecteurs viennent de Dijon. D’autres viennent de la campagne bourguignonne, à 15 ou 20 km. En 2007, on était à 29% d’extérieurs à Chenôve. C’est pas mal. En même temps, ce n’est pas le but. Le but, c’est de faire venir les gens d’en face. Et cela se fait parce qu’il y a de nouvelles possibilités avec la discothèque et l’espace public numérique qui ont fait énormément bouger les choses ». Depuis que la « nouvelle bibliothèque » a été inaugurée par Mme Mitterrand en 1996, elle a carrément fait un bond en avant. En comptant la salle de spectacles de l’Espace Culturel, la bibliothèque est passée à 1316 mètres carrés. Son nouveau statut de médiathèque et la diversité de ses prestations lui ont permis de conquérir de nouveaux espaces. De nouvelles têtes. Au compartiment audiovisuel dirigé par Cécile et Bernard, je croise plein de jeunes, qui viennent chercher, qui un CD de musique, qui un DVD ou une vidéo d’un film culte. A l’espace Internet, Azzeddine est submergé par les demandes. Il y a aussi le public des scolaires qui viennent solliciter Gérard pour une petite aide aux devoirs dans l’espace « études ». « On voulait donner un coup de main dans la lutte contre l’échec scolaire au profit notamment d’une population un peu démunie » explique Pascale. Gérard que tout le monde surnomme affectueusement « Gégé », ancien colonel de l’aviation, est le seul bénévole parmi ce bel encadrement. Il y a aussi les tous petits qui se ruent sur la section jeunesse où Séverine, Simon et Nadine sont aux petits soins. Que d’astres lumineux dans cette bibliothèque enchantée qui n’est plus ce bâtiment lugubre, austère et fondamentalement scolaire que l’on trouve dans nombre de villes ! Autant d’atouts qui ont fait de ce lieu unique un espace convivial, vivant et drôle. En témoigne cette « Journée du Jeu » organisée en novembre 2007. « Ça avait marché du feu de Dieu » exulte rétrospectivement Pascale. « Il y avait des papy et des mamies, il y avait des jeux partout. Il y a une maison du jeu au Centre Social où l’on peut trouver des jeux marrants. On nous a prêté des jeux de société, ludiques et intelligents, et on en a mis partout, partout. C’était un moment formidable ! Il y avait des papy qui jouaient à la belote avec une animatrice marocaine…C’était un brassage intéressant de mettre ensemble les papy et les gamins, toutes ethnies confondues ». Une image touchante, en effet. Le jeu en valait bien la chandelle. Cela résume parfaitement la dimension citoyenne de la bibliothèque et donne un aperçu de son ancrage social. C’est assurément un travail colossal que celui que fait cette jolie structure, de concert avec un panel de partenaires comme le Centre des Loisirs, la Maison des Aînés et le Centre Social. Victime de son succès, la Bibliothèque François Mitterrand de Chenôve s’avère aujourd’hui de plus en plus exiguë pour contenir ses nombreux aficionados. « L’atelier est saturé, la réserve est saturée, la section audiovisuelle est trop petite » regrette Pascale. Aussi, un nouveau projet d’agrandissement est à l’étude.

Pascale continue de venir régulièrement rendre visite à La Maison, celle de sa seconde famille, pour y répandre sa bonne humeur et distribuer sourires, chocolats et bonjours. La séparation d’avec ses anciens collègues a dû être douloureuse. Chantal Ferreux, sa proche collaboratrice qui l'a accompagnée pendant vingt-quatre ans, a pris la relève avec brio tandis que Pascale s’occupe, entre autres, de…moi. Avec sa verve succulente, elle me fait : « M’occuper de ta résidence est l’une de mes dernières missions avant mon départ à la retraite ». Si tant est que le mot « retraite » s’appliquât à cette fée qui déborde de dynamisme et d’imagination.

Merci Pascale et…je ne suis pas désolé de te connaître…

Mustapha Benfodil