samedi 12 avril 2008



Moisson de textes (II)

Ces textes ont été écrits suite à la projection du film documentaire "Chenôve change" de Jean-Marc Bordet consacré à la démolition de l'immeuble Charles Péguy. J'avais demandé au participants de s'inspirer d'une seule image et de composer quelque chose dessus. La moisson fut riche et de qualité. Je reproduis ici les premiers textes qui m'ont été remis. J'attends de recevoir les autres. Vous connaissez les auteurs. Ils sont timides, handicapés par une trop longue pratique solitaire de l'écriture. Ils vous diront toujours: "Oh, c'est de la merde!" et prendront l'éternité entièe s'ils le pouvaient pour fignoler leurs textes. Appréciez donc ces premiers jets en attendant le suite...


Ce jour-là, le soleil n’était pas au rendez-vous. On était encore au milieu de l’hiver et il faisait froid.
Elle a choisi d’aller le long du cimetière qui surplombe sa petite ville. Elle était là parmi tous les autres, parents, amis, voisins, chaudement habillée et portait ses jolis gants bleus.
Pourquoi était-elle venue assister à cet enterrement ? Bien sûr, songeait-elle, c’est un enterrement un peu particulier. Tout de même une tranche de vie qui s’efface. Elle avait beau se raisonner, ses jolis gants bleus n’arrivaient pas à éponger toutes ses larmes.

Assia YACINE



Une vie, des vies…Combien de vies dans cet immeuble ? La mienne en tout cas, et égoïstement, c’est déjà pas mal. Cet immeuble affaibli, déconstruit… Cette grande maison, c’est ma mère. Et aujourd’hui, elle veut me voir partir, voler de mes propres ailes (de pigeon, c’était mon petit nom), elle me dit que c’est pour mon bien, que ma vie n’en sera que plus belle après…Blablabla…J’m’en fous, moi, de toutes ces conneries. Je suis mal. Aujourd’hui, il faut que je lui dise au revoir. Douloureuse et définitive séparation qui laissera en moi un vide immense qui, je le sais, ne pourra jamais être comblé. Alors, pour lui faire mes adieux, je laisse place au silence, parce qu’il n’y a pas de mots. Aucun mot ne peut signifier la douleur que je ressens au plus profond de moi-même. Je dois me tenir aussi droite et fière qu’elle, tout en ayant cette sensation de désert intérieur, de néant, et cette putain de solitude qui m’attend et qui me guette, et qui, je le sais, ne me quittera plus pour le restant de mes jours.
Le décompte se fait. Trois : Je serre les dents, je ferme les yeux. Trop dur de voir la mort en face. J’ai mal. Deux : ça y est, le dénouement est proche. Un…zéro…J’ouvre les yeux. Le vide intérieur, je le vois devant moi maintenant. Je lui ai fait la promesse de me tenir toujours droite et fière, je le lui ai promis, alors, je le ferai. Je lui dois bien ça, à cette maman, cet immeuble qui maintenant fait partie du passé, mais qui sera à partir de cet instant, le moteur de ma vie future.
Adieu et merci pour tout…

Aurélie FERRARI



Arrivée à son apogée, elle paraît défleurée. Ce n'est pas une vieille face décatie, un visage décrépi, mais une armoire que l'on déshabille.
Au même rythme que les peuples qui l'habitent, devant les miroirs, elle s'est maquillée, changée, des apparences se sont modifiées. Aujourd'hui, il s'agit de dépapierter, comme un tablier que l’on retire, une jupe se laissant tomber.
Sa chambre n’a plus d'intimité. Sous les yeux amiantés, des milliers de mains l'aident à s'apprêter.
Elle est nue maintenant, l'encadrement de ses yeux, des ces bouches aérées ; béante, étonnée devant sa nudité, elle a froid, n'est plus isolée, elle se voit dans la chambre d'à côté. Seules des petits rubans retiennent sa pudeur.
Elle passe d'une cuisine à l'autre, se souvient des saveurs du monde qu'elle renferme, cela remplit ses vides, elle danse.
Peu à peu elle se montre toute entière, toujours fière. Elle est prête pour sa fête. Prête à se perdre dans une avalanche de fumée, inhaler les explosifs et souffler sur sa propre poussière.
Bien qu'il n'y ait plus de verre à briser, les portes restent ouvertes. Ils l'ont entourée de rubans blancs tel un linceul jeté sur le passé. Le linge n'est plus à repasser. Après la lessive, essorez et laissez sécher.

Anne-Lise LODENET

Levé à l’aube, le docteur Melchior avait une journée très chargée aujourd’hui et aussi une mission très importante : échanger un sourire contre un souvenir…
A la demande officielle d’éminents spécialistes, il était le seul à pouvoir le faire. Mais comment réaliser ce travail pour une population entière ?
Un joli cadeau enrubanné, offert grandeur nature à la modernité, voilà la solution !
Mais comment faire…
Echanger une surprise contre une larme?
Un plein pour un vide ?
Mais non bien sûr ! La seule vraie mission du docteur Melchior, c’est d’échanger un bloc de béton contre un bloc d’air et de vie !!

Helen


DECONSTRUCTION MAN

DEconstruction. n.m. Néologisme savant mis sur le marché des mots par le célèbre philosophe français Jacques Derrida. Il a connu des fortunes diverses – le mot, pas Derrida. Enfin, Derrida aussi, mais ce n’est pas le propos. Il s’appliquait à la DEmolition du sens commun des mots et des textes pour en révéler de nouveaux. Mais DEpuis que Malek, le technicien en DEdestruction a DEniché – qui n’est pas, soit dit en passant, une DEformation (ni une malformation) du verbe « nicher » - un cDEi à la smDE – la Société Méditerranéenne de DEmolition – de Marseille, il n’utilise plus que ce son: DE-CON-STRU-CTION. pour DEpecer des textes urbains : « Si tu me cherches, je te DEconstruis vite fait, man ! » Ses copains, pour le charrier, l’ont DEpatisé pour le rebaptiser « DEconstruction Man ».
Depuis quelques jours, Malek ne parle que de Péguy. Le poète, pas l’immeuble. C’est sa prochaine cible (victime ?). Il va le DEmonter, le monter à l’envers, à partir de la poussière produite par sa DEconfiture. Ça va, ça va, je DEconne, DEsolé ! Je ne fais que DEcrire, man !
Malek, en tout cas, est sûr de son coup. « ça va bien se passer, comme d’habitude…! On va DEbarrasser tout ça vite fait, man ! » qu’il a dit. Sans DEconner…Comme d’habitude…Il va donc le DEconnecter, le DEmembrer pièce par pièce, chambre par chambre et strophe par strophe, le Péguy, sous le regard ridé de DE-Rida. C’est ce qu’il a dit, le Malek, pendant que, dans le hall, près de la cage C,on le chambrait de plus belle en braillant de tous nos mots aussitôt reconstruits et Definitivement DEbridés et en hurlant : « Commandant Daïda et Pouchina ouuuhhh ! »

Mustapha BENFODIL

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ces textes sont très beaux, très touchants, très imagés, bravo! Quant à ta DÉconnante sur le DÉsir de DÉconstruction DÉrridien, il m'a totalement réjoui. Bises. Ton blog est vraiment tonique

Benfodil a dit…

Très chère Laurence,

Merci de ta fidélité au blog et pour tes commentaires savoureux. La prochaine fois, je tâcherai de t'embarquer avec moi sur la route des Grands Crus. Tu vas adorer. Je t'embrasse.
Mustapha