Avec les anciens de Charcot
Mardi 8 avril 2008. Aujourd’hui, j’ai fait une incursion dans le site de démolition de l’immeuble Charcot, sur les pas de Jean-Marc Bordet qui a bien voulu m’embarquer avec lui. Jean-Marc a réalisé plusieurs films documentaires sur la ville de Chenôve parmi lesquels « Chenôve Change », un poignant reportage sur la démolition (on dit « déconstruction » dans le jargon de rigueur) de Charles Péguy, l’immeuble, pas le poète, le 26 février 2004. D’ailleurs, j’ai fait projeter le film en question au groupe de mon atelier d’écriture (lire chronique : « Derrida au chevet de Péguy »).
17h30. Rendez-vous était donné à d’anciens locataires de l’immeuble Charcot pour un nouveau documentaire que prépare patiemment Jean-Marc, et consacré cette fois à la démolition, pardon, déconstruction de Charcot, opération qui surviendra, dois-je le rappeler, le 17 avril prochain. Quatre anciens voisins ont pointé pile à l’heure. D’emblée, la machine à remonter le temps se mit en marche. Et le moulin à souvenirs de redonner couleurs et vie à cette carcasse vide, trouée de partout et langée d’une bâche blanche déployée comme un bandage autour d’un grand corps malade (pour paraphraser Marie-Luce).
Je dois confesser que j’ai été vite pris, à mon tour, dans cette bourrasque de réminiscences qui ne sont pourtant pas les miennes. Ces anciens locataires qui, aujourd’hui, ont pris chacun ses quartiers, son quartier, ailleurs, parlaient comme s’ils ne s’étaient jamais quittés, avec la chaleur, la tendresse et la liberté de vrais voisins, c'est-à-dire des personnes qui ne partagent pas simplement un territoire vertical mais un vécu, une mémoire commune, un destin. Et j’ai eu pour le coup une tendre pensée pour mes anciens voisins dont les visages défilaient dans mon cœur avec une frénésie kaléidoscopique. Ayant moi-même grandi dans une tour surplombant une ville plantée au cœur de la plaine de la Mitidja et qui s’appelle Boufarik, je connais parfaitement cette sorte de complicité où la multitude est source de gaieté festive et de communion affective. Ainsi, sous ce monticule de décombres prit place le Carrousel du Temps qui nous projeta, d’un saut féerique, vers un âge d’or mythique et sublimé. On était soudain transportés loin de ce décor lugubre et chaotique pour réinventer l’enfance. L’imagination aidant, les appartements se reconstituaient, les cours d’immeubles, les potacheries des gamins, les premières rixes, les premiers matchs de foot, les premières réunions, les premières couscous-party, les premières cérémonies collectives, et tous ces menus détails qui font sur le tard une vraie vie de quartier.
« On avait l’impression d’être en famille. Les voisins étaient des cousins, c’était des cousines » témoigne Rachida. Oui, et ça se sentait, ça se voyait, cette fraternité supra-éthnique, supra-religieuse, supra-génétique, supra-tout. C’est généralement l’avantage des grands ensembles et des quartiers dit populaires : l’esprit de famille à grande échelle, les portes jamais fermées, les logis où l’on peut entrer sans frapper, les clameurs sourdes dans les cages d’escaliers. « Si l’un faisait une bêtise, le voisin pouvait lui en mettre une et ça ne posait pas de problème » poursuit Rachida.
A un moment donné, Jean-Marc, caméra à l’épaule, le micro en pantoufle de son acolyte perchman tendu à l’ombre tutélaire de Charcot, lance : « Je vais faire de la provo : j’ai l’impression, à vous écouter, que c’était le paradis ». « Oui, c’était le paradis, moi je vous le dis » rétorque une ex-habitante de Charcot. « A notre époque, c’était beau » ajoutera-t-elle. Jean-Marc ne manque pas de souligner l’image dévalorisante qui colle aux cités avant de poser la question fatidique : « Le fait que cela soit démoli, pour vous, c’est quelque chose d’inéluctable, de nécessaire, c’est un crève-cœur ? » Sans larmes ni fatalisme aucun, usant d’une pénétrante lucidité, ils admettent que oui, c’est quelque chose de nécessaire, c’est dans l’air du temps, quelque chose à mettre sur le compte de la quête somme toute légitime d’un peu plus de confort. Jean-Marc revient à la charge : « Qu’est-ce que ça vous fait de le voir dans cet état-là ? » « C’est une page qui se tourne » tranche une voix. « Aujourd’hui, on fait de petits bâtiments, les choses ont évolué. Ça fait peur, les grands bâtiments. Avec les petits immeubles, les gens se sentent mieux » enchaîne un autre. Jean-Marc pose une dernière question pour la route : « Et si vous deviez retenir un seul souvenir de Charcot, une anecdote, chacun… »
« La convivialité » résume Patrick.
17h30. Rendez-vous était donné à d’anciens locataires de l’immeuble Charcot pour un nouveau documentaire que prépare patiemment Jean-Marc, et consacré cette fois à la démolition, pardon, déconstruction de Charcot, opération qui surviendra, dois-je le rappeler, le 17 avril prochain. Quatre anciens voisins ont pointé pile à l’heure. D’emblée, la machine à remonter le temps se mit en marche. Et le moulin à souvenirs de redonner couleurs et vie à cette carcasse vide, trouée de partout et langée d’une bâche blanche déployée comme un bandage autour d’un grand corps malade (pour paraphraser Marie-Luce).
Je dois confesser que j’ai été vite pris, à mon tour, dans cette bourrasque de réminiscences qui ne sont pourtant pas les miennes. Ces anciens locataires qui, aujourd’hui, ont pris chacun ses quartiers, son quartier, ailleurs, parlaient comme s’ils ne s’étaient jamais quittés, avec la chaleur, la tendresse et la liberté de vrais voisins, c'est-à-dire des personnes qui ne partagent pas simplement un territoire vertical mais un vécu, une mémoire commune, un destin. Et j’ai eu pour le coup une tendre pensée pour mes anciens voisins dont les visages défilaient dans mon cœur avec une frénésie kaléidoscopique. Ayant moi-même grandi dans une tour surplombant une ville plantée au cœur de la plaine de la Mitidja et qui s’appelle Boufarik, je connais parfaitement cette sorte de complicité où la multitude est source de gaieté festive et de communion affective. Ainsi, sous ce monticule de décombres prit place le Carrousel du Temps qui nous projeta, d’un saut féerique, vers un âge d’or mythique et sublimé. On était soudain transportés loin de ce décor lugubre et chaotique pour réinventer l’enfance. L’imagination aidant, les appartements se reconstituaient, les cours d’immeubles, les potacheries des gamins, les premières rixes, les premiers matchs de foot, les premières réunions, les premières couscous-party, les premières cérémonies collectives, et tous ces menus détails qui font sur le tard une vraie vie de quartier.
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« On avait l’impression d’être en famille. Les voisins étaient des cousins, c’était des cousines » témoigne Rachida. Oui, et ça se sentait, ça se voyait, cette fraternité supra-éthnique, supra-religieuse, supra-génétique, supra-tout. C’est généralement l’avantage des grands ensembles et des quartiers dit populaires : l’esprit de famille à grande échelle, les portes jamais fermées, les logis où l’on peut entrer sans frapper, les clameurs sourdes dans les cages d’escaliers. « Si l’un faisait une bêtise, le voisin pouvait lui en mettre une et ça ne posait pas de problème » poursuit Rachida.
A un moment donné, Jean-Marc, caméra à l’épaule, le micro en pantoufle de son acolyte perchman tendu à l’ombre tutélaire de Charcot, lance : « Je vais faire de la provo : j’ai l’impression, à vous écouter, que c’était le paradis ». « Oui, c’était le paradis, moi je vous le dis » rétorque une ex-habitante de Charcot. « A notre époque, c’était beau » ajoutera-t-elle. Jean-Marc ne manque pas de souligner l’image dévalorisante qui colle aux cités avant de poser la question fatidique : « Le fait que cela soit démoli, pour vous, c’est quelque chose d’inéluctable, de nécessaire, c’est un crève-cœur ? » Sans larmes ni fatalisme aucun, usant d’une pénétrante lucidité, ils admettent que oui, c’est quelque chose de nécessaire, c’est dans l’air du temps, quelque chose à mettre sur le compte de la quête somme toute légitime d’un peu plus de confort. Jean-Marc revient à la charge : « Qu’est-ce que ça vous fait de le voir dans cet état-là ? » « C’est une page qui se tourne » tranche une voix. « Aujourd’hui, on fait de petits bâtiments, les choses ont évolué. Ça fait peur, les grands bâtiments. Avec les petits immeubles, les gens se sentent mieux » enchaîne un autre. Jean-Marc pose une dernière question pour la route : « Et si vous deviez retenir un seul souvenir de Charcot, une anecdote, chacun… »
« La convivialité » résume Patrick.
Mustapha Benfodil
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