lundi 28 avril 2008



LE SAGE DU PONDICHERY

Ainsi parlait Vijay…



Cueille ce jour
Car il est la Vie
La vraie vie de la Vie

Gandhi


Vijay porte bien son nom. Il m’expliquera qu’en Sanskrit, Vijay signifie « que la joie soit sur tes lèvres », et « que le sourire ne quitte jamais ta bouche ! ». Et c’est tout lui. Zen, il est la quiétude incarnée. Vijay, c’est la sagesse de l’Inde répandant ses effluves dans le cœur des enfants, dans les allées de la bibliothèque, et les barres des immeubles, et partout où rayonne sa parole. Une douceur du Pondichéry qui s’est posée là, à Chenôve, après un périple digne de Marco polo.
Intarissable de spiritualité, c’est un puits de sagesse sans fond, notre cher Vijay, que tout le monde appelle Simon, que moi j’appelle Vijay parce que ainsi aime-t-il être appelé. Quand, par mégarde, je prononçais « Simon », il me rappelait gentiment sa préférence pour Vijay qui est, du reste, son vrai prénom. Il m’expliquera que c’est grâce aux Brahmanes qu’on trouve la signification des prénoms. « Ils vont consulter les étoiles pour voir la signification des noms. On peut ainsi avoir un fils « berger » mais au sens philosophique du terme. » dit-il. Il fait certes jeune pour un sage, surtout à se fier à ses cheveux restés étonnamment noirs, et sans teinture aucune s’il vous plait, j’en témoigne. Mais qui a dit que la sagesse se mesurait à l’aune des poils blancs cumulés sur le cuir chevelu ?
Son nom complet est : Vijay Simon Jean. Et pour ce qui est de l’âge, j’apprendrai par sa bouche que dans la sagesse hindoue, « Les Indiens n’ont pas d’âge », et qu’il serait de mauvais augure d’attribuer un chiffre au temps qui coule sur votre peau, et qui irrigue vos veines.
Vijay est affecté à la section jeunesse de la bibliothèque. Il s’occupe, entre autres, de la gestion du poste informatique conformément à ses qualifications, mais comme pour son ami Azzedine, on aurait tort de l’enfermer dans le rôle de l’informaticien de l’espace « junior » de la bibliothèque. Il faut dire que les enfants et les ados l’aiment beaucoup et ils le font savoir. En attestent les nombreuses marques d’affection qui tapissent les murs entourant son bureau à l’étage supérieur, entre poèmes, dessins et autres témoignages de sympathie pour celui qui leur apporte tellement avec son sourire scintillant dont son visage affable et généreux ne se départit jamais.
Vijay est arrivé en France en 1983. Il est né au Pondichéry, ville du sud-est de l’Inde, dans la province du Tamil Nadu, littéralement le pays des Tamouls. La province s’appelait autrefois Madras, du nom de sa capitale. La ville de Pondichéry est la capitale du territoire éponyme. « C’est un grand port du sud-est de l’Inde » dit Vijay. La ville abrite par ailleurs de célèbres temples hindous donnant lieu à des pèlerinages massifs à l’instar du temple de Manakkula Vinayaka. « Nous avons d’ailleurs de grands Maharajas » affirme Vijay. Le Pondichéry, comme chacun sait, fut pendant longtemps une colonie française. La France s’y implanta dès le 17ème siècle par le truchement de la Compagnie française des Indes. Vijay m’apprend que phonétiquement, ce n’est pas fortuit que dans Pondichéry, il y ait « chérie ». C’est la trace sonore de la France. « Pondi renvoie au verbe « ramener » et cherry désigne bien sûr l’amour » dissèque-t-il. Le 1er novembre 1954 (qui correspond étrangement au déclenchement de la Guerre de Libération Nationale en Algérie), le Pondichéry fut cédé à l’Inde indépendante. Vijay me dira que son grand-père travaillait à l’ambassade de France en Inde et qu’il fut même naturalisé français. C’est ce qui explique son nom, Simon Jean. « Mon grand-père était d’ailleurs de confession chrétienne et toute ma famille paternelle l’était, tandis que ma famille maternelle est hindouiste, si bien que j’ai hérité des deux religions » dit-il. Pour lui, « la source du bien et la source du mal sont les mêmes dans toutes les religions. » Personne ne détient ainsi le monopole de la vérité.

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Comme on va le voir, la vie de Vijay est un roman de voyage. Il passe d’abord une enfance heureuse dans son Pondichéry natal. Petit, il est plutôt sociable. Même très sociable. « Je suis issu d’une famille de commerçants spécialisés dans le commerce du tissu » raconte Vijay. Une famille de commis voyageurs donc. Mais son père est un militaire de carrière. L’un dans l’autre, cela donne une vie forcément tournée vers le monde. Le thème de l’évasion s’impose très tôt au garçon très éveillé qu’il est. Il se réjouit d’avoir hérité de deux cultures à la fois différentes et complémentaires, la française de son père et la brahmanique de sa mère. Jeune, Vijay est un garçon dynamique et même un tantinet « turbulent », et ce, de son propre aveu. « Après, j’ai été sous l’autorité d’un grand maître yogi qui s’appelait Lahiri Sri Kanda. » Un maître qui l’aidera beaucoup à se « calmer ». « Ça m’a appris la sagesse et ça m’a énormément apporté » reconnaît-il. Plus tard, il donnera même des cours de yoga à Paris, me confie-t-il.
Vijay fait ses études au Pondichéry jusqu’au bac. Il étudie en langue anglaise. « Ma langue maternelle était le tamoul. En Inde, il y a 16 Etats et chaque Etat a sa langue » dit-il. Après son bac, il quitte l’Inde en 1979 à destination de la Malaisie. Ce sera la première étape d’un long périple qui le conduira aux quatre coins du monde. Sur une carte de la bibliothèque, il me montre toutes les villes qu’il a visitées, les pays où il s’est posé. « Après le décès de mon père, j’ai voulu voyager, voir le monde.» dit-il. « Mon père avait passé quinze ans dans l’armée française. Il avait fait partie de l’infanterie marine. Il était au grade de sergent-chef. Il a fait la deuxième guerre mondiale sous le drapeau français ». Il m’apprend à ma grande surprise que son père a même servi en Algérie. « Il est parti en Algérie en 1940 et y resta trois ans, entre Alger et Constantine. Plus tard, il a participé à la Guerre d’Indochine. » Il était donc lui aussi un oiseau migrateur à sa manière. Vijay sait de qui il tient. « Pour lui, c’était une autre quête » lance le fils. « A part le cinéma, je passais beaucoup de temps à écouter les récits de voyage de mon père et je me disais : quelle chance il a de faire tant de voyages. J’espère que je voyagerai autant ! » Dont acte. « J’étais doué de mes mains, alors je me suis fait couturier. Je suis d’abord parti en Malaisie. Puis, en 1982, je suis allé à Singapour où j’avais un oncle maternel. Il avait là-bas une boutique de prêt-à-porter féminin du nom de « Fashion-Priya ». J’ai touché à tous les métiers de la couture : coupe, taille, style, design…Dans le cadre de mon métier, j’ai visité plusieurs pays de la région : Thaïlande, Philippines…Je partais en Thaïlande acheter le coton parce qu’il y était moins cher. » Fin 1982, Vijay tente l’aventure européenne. Il séjourne ainsi à Malte et à Copenhague. « J’ai passé six mois à Copenhague. J’ai découvert au Danemark des gens très froids qui avaient un tout autre tempérament que celui que j’avais laissé en Asie. En Inde ou en Malaisie, tu regardes une personne, tout de suite elle te sourit. Chez nous, si quelqu’un frappe à ta porte, tu l’accueilles avec joie. Ici, c’est la loi de l’individualisme. Il y a d’abord le moi, et le toi vient après. Ce fut pour moi un choc. » Il me raconte comment, des années plus tard, il avait ramené sa mère pour se faire opérer du genoux. « Elle était choquée à son tour. Elle me disait : comment font les gens pour vivre ainsi ? Les voisins ne se saluent même pas. Tu ne sais pas comment vit ton voisin ? » Sa mère ne tarda pas à rentrer au pays. « Elle se demandait comment je vivais dans ce monde qui ne ressemblait pas du tout au nôtre. C’est vrai que la modernité ne se fait pas toujours dans le bon sens des choses. »
*

Vijay débarque ensuite à Londres où la communauté indienne est forte. « J’avais un cousin qui travaillait comme journaliste à la BBC qui m’a accueilli. » Il s’établit ainsi à South Hall, dans la banlieue de Londres. En 1983, il arrive en France et s’installe en région parisienne, dans le Val de Marne. « Comme j’ai de la famille partout, forcément, j’en ai en France » sourit-il. « J’avais un proche du côté du Kremlin-Bicêtre qui m’a reçu. Il m’a aidé à trouver de petits boulots. C’est ainsi que j’ai déniché un travail comme aide traducteur dans un cabinet de traduction. Je m’occupais des documents d’état-civil et toute sorte de documents administratifs ». Il faut noter à ce propos que Vijay est un très bon polyglotte. Comme tous les globe-trotters, il a le don des langues. « Je parle six langues : l’indien, le tamoul, le malais, le thaïlandais, et bien sûr le français et l’anglais. Je le dois à mon ancien métier de marchand de tissus. » Non seulement il est polyglotte mais Vijay se révèle un touche-à-tout pluridisciplinaire, avec plus d’une corde à son arc. La preuve : en 1984, il rentre à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris où il se fait agent hospitalier. L’année d’après, il passe avec succès son concours pour l’obtention d’un diplôme d’infirmier. Trois ans d’études intensives. Il est en plein dans le train-train parisien et son rythme infernal. Il fait tout à tour les services réanimation, néo-natal et gériatrie. « J’ai même travaillé dans le service du professeur Bernard, un éminent cardiologue ». C’est dans le milieu hospitalier qu’il aura fait preuve, jusque-là, du plus de longévité. Cinq ans. Un record pour le bourlingueur qu’il est. Cela en dit long sur son âme profondément charitable et ses prédispositions magnanimes. « J’ai vu toutes les souffrances des gens. Je suis de nature sensible, et de voir ainsi des êtres à la fin de leur vie, c’était pénible. Tu portes forcément le poids psychologique de toutes ces personnes qui souffrent en silence. » En 1988, il retourne en Inde pour se marier. «Je me suis marié selon les coutumes de l’hindouisme. Je voulais faire plaisir à ma mère » confie-t-il. Une mère qui lui est si chère et qu’il va voir au moins une fois par an. De son mariage, Vijay aura un garçon et deux filles. J’ai vu son fils sur son ordinateur : 18 ans et un physique d’Apollon, de quoi faire chavirer le cœur de pas mal d’adolescentes de passage à la bibliothèque. « Je viens d’une famille de neuf enfants. Mon épouse, elle, avait une fratrie de sept enfants. Mes frères et sœurs se sont dispersés. J’ai même une sœur qui vit à Djibouti. Plusieurs membres de la famille de ma femme vivaient en Bourgogne et c’est comme ça que je suis venu dans la région. J’en avais un peu marre de l’ambiance morose des hôpitaux. » Vijay est à un carrefour de sa vie. Il s’interroge. Il demande à son maître : « Quel est le secret de la vraie vie ? », « Où réside la vraie félicité, la paix de l’âme ? » Et son maître de lui répondre : « C’est la vie d’un homme qui doit connaître à la fois la simplicité, la tranquillité et l’humilité envers tout être. » De la bouche de Vijay coule des flots de sagesse. Il m’honorera d’ailleurs d’un bouquet de paroles spirituelles puisées à différentes sources ainsi qu’un texte du Mahatma Gandhi, son prophète.
*

Revigoré par les mots et les conseils de son maître, Vijay se résout à mettre en pratique cette précieuse formule. Il décide donc de quitter Paris, devenu trop pesant pour lui. « C’est ça qui m’a convaincu d’aller d’étape en étape pour atteindre cette tranquillité et trouver enfin la paix en soi-même. L’être humain devient orgueilleux avec le statut social. Si tu atteins cette « paix-en-soi » dans la simplicité, c’est ça la vraie vie comme a dit mon Maître. Où que je suis, je suis comme je suis, je ne change pas. Je ne cherche pas à accumuler les gains matériels. C’est ça qui m’a poussé à fuir Paris et sa vie robotique. Dans une ville comme celle-ci, tu n’as pas la paix de l’esprit. C’est ici, en Bourgogne, grâce au soutien de mes beaux-frères, que j’ai trouvé cette paix, au milieu de cette verdure et ce calme. »
Vijay change à nouveau de vie – j’allais dire de destin. Il débarque donc en Bourgogne en 1992. Il s’installe d’abord dans Les Grésilles, à Dijon, où vit l’un des frères de sa femme. Il passe un BTS en informatique et bureautique. Il obtient un logement à Chenôve et c’est ainsi que sa vie chenevelière commence. En 1995, il obtient un CES (contrat emploi solidarité) au sein de la ville de Chenôve. Il est affecté au service culturel. « Je m’occupais d’un peu de tout : les femmes de ménage qui travaillent dans les écoles, le transport scolaire, la préparation des dossiers d’octroi des bourses départementales pour les collèges, des choses de ce genre. » En avril 1996, il rentre à la bibliothèque municipale, d’abord comme agent d’ambiance comme il le précise, avant de rejoindre en 1999 la section jeunesse où il est « responsable salle d’études ».
Depuis, Vijay fait le bonheur des lecteurs, notamment des plus petits. Il semble avoir trouvé sa voie, lui qui totalise plus de dix ans en un même lieu. C’est signe de bonheur. Peut-être cette « paix en soi » qu’il avait tant recherchée l’a-t-il enfin trouvée ? En tout cas, la simplicité et l’humilité il les a, deux valeurs qui contrastent avec la profondeur de son regard sur les choses et la pertinence de sa parole. Il parle comme un sage, mais c’est loin d’être de la caricature. Vijay a réellement en lui le feu sacré des Brahmanes, la profondeur du Gange et les trésors de la sagesse indienne. La bibliothèque est jonchée de livres de toute sorte, et il semble connaître sur la vie plus que quantité de ces encyclopédies réunies, de quoi vous en boucher un coin. Il me le dit : ce qui compte pour lui, ce n’est pas tant les livres qui gisent dans ces rayons que l’aventure humaine qu’il y a autour. « Cette bibliothèque est un lieu unique » note-t-il comme de juste. Oui, c’est dans les rencontres, dans le sourire qu’il apporte aux enfants et aux adultes, dans les liens humains qui se tissent autour de lui qu’il trouve son exaltation et sa véritable récompense. « On n’est pas là que pour les livres, il y a aussi (surtout ?) le lien humain. On vient chacun avec le vide qu’il y a en soi et on essaie de le combler. Parfois un seul mot suffit. » observe-t-il avec tendresse. En songeant à tous les voyages qu’il a faits, il me lance avec le sourire immaculé qui colle tellement à son nom : « Je n’aime pas voyager à travers les livres mais à travers les gens. Dans tous mes voyages, j’étais à la recherche de l’homme.» Oui. On vient chacun avec son livre intérieur pour le feuilleter ensemble et repartir chacun avec une parole, une, celle qui répare un tort ou panse une blessure. Elle agira comme un baume sur le cœur ou une lumière sur le front. Je m’empêtre dans le lyrisme philosophique hindou on dirait. C’est assurément ça, l’effet Vijay. Une belle contagion par l’esprit !
Une chose est certaine, Vijay, mon frère, mon grand ami : ta paix de l’âme, tu l’as trouvée, en attendant la paix des hommes. Ton Maître est sûrement fier de toi et nous aussi…

Mustapha Benfodil

PS : Vijay a eu la bonté de me faire don d’un texte qu’il a écrit, accompagné d’un autre du Mahatma Gandhi. Avec sa permission, je les reproduis ici :


La paix vient de l'intérieur !

Cultiver notre paix intérieure contribue à faire croître la paix dans le monde. Tout le monde, même notre ennemi est entièrement motivé par la quête du bonheur.
«La paix du cœur mène à la paix mondiale », aime à répéter le Dalaï-Lama.
«Réaliser une paix authentique suppose de transformer samanière de penser et le regard que l'on porte sur le monde et sur lesautres. »
C'est toujours pour ou contre soi-même que l'on agit. (P. Gabory)
Le premier des biens est la paix du coeur. (Voltaire)
S'asseoir en silence, ne rien faire, êtrele printemps vient, et l'herbe pousse toute seule. (Sagesse zen)
L'heure est venue de s'asseoir tranquillement,dans ce silence qui m'inonde et me repose. (Tagore)


S J. Vijay


Cueille ce jour


Cueille ce jour
Car il est la Vie
La vraie Vie de la Vie
Dans son éphémère durée séjournent
La réalité et la Vérité de l'existence
La joie de croîtreLa splendeur de l'action
La gloire du pouvoirCar hier n'est qu'un souvenir
Et demain une simple vision
Mais Aujourd'hui bien vécu
Fait de chaque Hier un souvenir de bonheur
Et chaque Demain une vision d'espoir
Donc, cueille ce jour

Mahatma Gandhi

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