jeudi 17 avril 2008






Elégie pour Charcot

"Je suis comme un explorateur qui avance vers le vide."
Enrique Vila-Matas.

« Le Cèdre est debout ! Le Cèdre est debout ! » exultait une voix. Eternel, indestructible, le cèdre qui voisinait avec l’immeuble surgissait plus beau que jamais d’un gros nuage de poussière tandis que Charcot, en un battement de cil, n’était plus que gravats. Je suivais tout cela du toit de l’Espace Culturel aux côtés de Jean-Marc Bordet qui était derrière l’une des nombreuses caméras qui filmaient l’implosion. Ce jeudi 17 avril donc, Charcot alla rejoindre le preux commandant dont il avait hérité du nom, au paradis des justes, après 40 ans de vie.
Dès mon arrivée, ici, à Chenôve, je me précipitai au centre-ville faire connaissance avec Charcot. D’entrée, cet immeuble de neuf étages qui abritait quelques 79 familles me fascina. La SMD, la Société Méditerranéenne de Démolition, en charge de l’accompagner dans sa mort, était déjà à pied d’œuvre pour préparer le chantier. Je ne me lassais pas de le prendre en photo. Je suivais son évolution de jour en jour, sa décrépitude surtout. Il était chaque jour un peu plus décharné, plus évidé de l’intérieur, tel un organisme vivant atteint d’un méchant cancer qui le viderait graduellement puis précipitamment de ses viscères. Argument technique : en plus du travail de désamiantage inéluctable pour les anciennes constructions, il s’agissait d’alléger la structure du bâtiment de ses composantes lourdes (portes, volets, baignoires…), pour que le jour de l’implosion, il tombe sans faire de résistance. J’ai ouï-dire à ce propos qu’une opération de démolition d’un vieil immeuble d’une usine de Kodak (appelé le bâtiment GL20) qui eut lieu le 9 décembre dernier à Chalon-sur-Saône, avait mal tourné, l’immeuble ayant miraculeusement survécu à l’implosion.
17 avril. C’est le jour J. J’avais une petite boule, je l’avoue, en voyant arriver le rendez-vous fatidique. Pour avoir appris à travailler sur Charcot, je cultivai une sorte d’attachement pour ce building fantomatique. Une espèce d’affection compassionnelle, de celle que l’on éprouve pour un mourant qu’on assiste dans ses derniers jours. Mardi, nous avons consacré la séance de notre atelier d’écriture à la mise en place des textes de fiction que nous allons dédier à Charcot. Ainsi, chaque pas fait en direction de Charcot, de ses gens, de sa mémoire, nous rapprochait un peu plus de cette cité HLM. Cela a créé une proximité peut-être factice avec le bâtiment, mais un lien en tout cas s’est formé. Nous aurions voulu assister d’ailleurs tous ensemble à l’opération.
En sortant donc ce jeudi matin dans le quartier avec ma femme, le Mail était déjà solidement encadré par les policiers, les CRS et autres agents municipaux. 250 hommes en uniforme ont été mobilisés dès 7h du matin. Un périmètre de sécurité a été délimité auparavant pour organiser la circulation aux abords de Charcot. 2500 personnes issues des immeubles alentour sur un rayon de 200 m ont été évacuées, réparties sur trois sites d’accueil. L’implosion est prévue à 11h. Une pléthore de journalistes, de cameraman et de photographes ont accouru dès les premières heures pour couvrir l’événement. Un véhicule estampillé « Bien Public », le grand quotidien bourguignon basé à Dijon, était là, devant la bibliothèque, avec une équipe de reporters à la clé. Un bon nombre d’agents en badge quadrillaient le quartier, chargés tous de veiller au bon déroulement de l’opération. Un chapiteau a été installé place Coluche. Aux portes de la bibliothèque François Mitterrand, il y avait foule. Le merveilleux personnel de la bibliothèque était là depuis tôt le matin lui aussi pour préparer un petit-déjeuner convivial à l’attention du public qui allait affluer à cette occasion.
Côté population, il y avait une fébrilité inhabituelle dans le parc attenant à la barre Lamartine, ainsi qu’en bas des tours Renan et tout autour des immeubles voisins. L’émotion se lisait sur tous les visages. Des barricades empêchaient les badauds de s’aventurer plus près de Charcot. Le centre commercial Saint-Exupéry baissait rideau. Le moment avait quelque chose de solennel. Presque un moment de recueillement. Chacun se cherche une place pour suivre au mieux l’événement. Tout le monde lorgne un endroit surélevé. Les habitants des cités se cramponnent à leurs balcons, les autres se dépêchent en direction des vignes, sur le Plateau, ce qui leur permettrait d’avoir une vue imprenable sur la ville. Quant à moi, je suivis Azzedine et Jean-Marc sur le toit de la bibliothèque. Je m’en suis mis plein la vue de ces dernières images qui allaient bientôt disparaître du paysage. Cette ultime image d’un Charcot encore debout, flanqué des autres bâtiments, ses frères de béton et d’amiante dans cette incroyable aventure humaine et urbaine qu’ils eurent à partager près d’un demi siècle durant. Il est encore debout, mais il a le corps frêle, la mine fatiguée, le visage pâlichon. Une large banderole le recouvre de bout en bout dans le sens de la largeur. Ce sont les insignes de la SMD. Avec ses bâches blanches qui le langent de part en part, il a l’air d’un macchabée à qui l’on a fait la toilette mortuaire avant de l’emballer dans un linceul.
10h59. Une voix annonce dans un mégaphone le début du compte à rebours. Le cœur de la foule bat la chamade. Tout le monde retient sa respiration. Bientôt, j’entends la voix de Brigitte Lemoine, une ex-locataire de Charcot qui a la délicate mission d’appuyer sur le bouton fatidique. Elle réprime difficilement son émotion. J’avais lu un poignant témoignage d’elle dans Le Bien Public d’hier. Assistante maternelle, Brigitte Lemoine a habité Charcot pendant quatorze ans, de 1994 jusqu’au 4 avril 2007. A ce titre, il a été fait symboliquement appel à elle pour actionner le processus fatal. Elle sera ainsi l’une des rares personnes admises dans la salle des opérations. Le PC est installé au pied d'un autre bâtiment, à un jet de pierre du centre commercial Saint-Exupéry. Seules 25 personnes y auront accès. « Quand j'ai appris que j'allais faire ça, je ne voulais pas y aller. Parce que je sais que je vais pleurer. Ce sont tous mes souvenirs que je vais tuer » confie Brigitte, selon le reportage du Bien Public. De fait, au moment d’enclencher le compte à rebours, j’ai eu des frissons en entendant la voix de Brigitte étouffant un sanglot au moment d’appuyer sur le bouton létal. Je me mis à sa place. Ce devait être un geste insensé, quelque chose de très dur.
Dans le même reportage, Brigitte livre quelques bribes de ses années paisibles passées dans l’immeuble du commandant Charcot, précisément dans la cage d’escalier n°5 où elle logeait. « Elle se souvient encore avec beaucoup d'émotion des rires de Sandrine au 9e étage, de Denise au 6e, ou de Leila au 4e » note l’auteur de l’article. « Si vous saviez comme on a pu toutes faire les folles ensemble sur Internet ! De vraies gamines. On était bien dans cet immeuble parce qu'on se sentait tous protégés. Quand ça n'allait pas, on montait ou on descendait chez l'une ou l'autre, même en chemise de nuit. Juste pour parler et boire le café.» témoigne encore Brigitte
Et le journaliste de reprendre : « Et puis, elle n'oublie guère ses longues discussions autour du déroulement d'un feuilleton à la télévision. En 2003, à l'occasion de la canicule, elle répète à l'envi que sa voisine de palier, Aicha, avait installé une piscine gonflable pour se rafraîchir. »« Bref, cette assistante maternelle a partagé une formidable expérience, relative au vivre ensemble, entre les murs de son trois pièces, loué 150 euros à l'Opac de Dijon. Un appartement qu'elle décrit comme très bien chauffé. Ces années passées, ainsi qu'elle aime à le souligner, étaient celles d'une belle histoire d'amour, d'amitié et d'affection. Alors quand elle a su, voilà trois ans, que Charcot serait démoli, que son domicile serait réduit à l'état de simples gravats, elle a pleuré pendant trois jours. Elle avait compris que c'était un peu de cette franche camaraderie qui serait vouée à une disparition certaine et inéluctable. Mais jamais, elle ne pourra effacer cette joyeuse tranche de vie. » Le reportage ne manque pas de souligner la nouvelle vie de Brigitte Lemoine. Tout à fait fortuitement, je pus voir furtivement sa nouvelle demeure près du Clos du Roy, un joli petit pavillon avec jardin niché dans un quartier flambant neuf et donnant sur les beaux vignobles entourant Chenôve. Le reportage le dit : « Et pourtant elle a toujours rêvé de cette petite maison avec un jardin qu'elle occupe à présent à Chenôve. Mais depuis que le bâtiment a été dépossédé de ses composantes, des volets aux baignoires, elle passe quelquefois au pied de l'édifice. Histoire d'entendre ces voix du bonheur de jadis. Demain sera une journée très difficile pour Brigitte. Elle le sait bien. « Parce que ce n'est pas n'importe quoi de casser un immeuble. Pour les gens, ça fait mal ! C'est comme un deuil. » conclut l’article. Je tenais à reproduire ces paroles parce qu’elles disent tout le chagrin et toute la peine que peut susciter la disparition d’un immeuble qui grouillait d’autant de vie et qui respirait la chaleur et la solidarité populaires.

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Avant de poursuivre mon compte-rendu sur cette journée exceptionnelle, j’aimerais consigner quelques notes biographiques à propos de ce fameux Charcot qui affubla l’immeuble de son nom. Ce n’est pas pour rédiger une oraison funèbre mais simplement pour rendre à César ce qui appartient à César, comme on dit, et à Charcot ce qui appartient à Charcot.
D’abord, il faut retenir qu’il ne s’agit pas de Charcot père, Jean-Martin Charcot (1825-1893) le célèbre neurologue spécialiste de l’hystérie et de l’hypnose à qui nombre d’établissements hospitaliers doivent leur nom de baptême, mais de Charcot fils. Jean-Baptiste Charcot. Selon une biographie publiée par Wikipedia, celui que l’on désignera sous le titre du commandant Charcot naquit le 15 juillet 1867 à Neuilly-sur-Seine. En sus d’être médecin comme son père, il était également océanographe et explorateur, l’un des premiers spécialistes de l’antarctique et pionnier dans l’exploration du cercle polaire. Dans sa jeunesse, il fait tous les sports : boxe, escrime mais surtout le rugby. Il remporta même le titre de champion de France de rugby en 1894 avec l’Olympique de Paris. En 1896, il épouse Jeanne Hugo qui n’est autre que la petite-fille de Victor Hugo. Entre temps, notre aventurier se fait construire son premier bateau qu’il baptise d’un nom pour le moins original : Le Pourquoi-Pas ? Il y en aura quatre ou cinq versions. Le choix d’une telle appellation en dit long sur le caractère de l’homme et son goût du défi. Le voici d’ailleurs sur les mers. En 1902, il atteint l’Islande et franchit pour la première fois le cercle polaire avant de pousser plus loin l’année suivante en montant la première expédition française à destination de l’Antarctique. Il hiverne pendant deux ans dans la péninsule antarctique et fait des découvertes surprenantes : 1 000 km de côtes nouvelles découvertes et topographiées, 3 cartes marines élaborées, 75 caisses d'observations, de notes, de mesures, collectionnées. Le tout sera légué au Muséum d'Histoire Naturelle de Paris.
On ne peut pas énumérer ici tous les exploits et toutes les découvertes scientifiques attribués au vaillant commandant Charcot, véritable pionnier et précurseur dans cette étrange quête qui fut la sienne, et qui fera un émule de renom en la personne du commandant Cousteau. Il suffit de noter que notre baroudeur infatigable a même un bout de terre à son nom à la suite d’une énième expédition polaire : « la Terre de Charcot ». En 1912, le Pourquoi-Pas ? IV devient le premier navire-école de la marine.
Le 3
septembre 1936, de retour d’une mission au Groenland où il s’était rendu pour prêter main forte à son illustre collègue Paul-Émile Victor, le Pourquoi-Pas ? IV fit escale à Reykjavik pour réparer la chaudière du bateau. Le 15 septembre, il mit le cap sur Saint-Malo, mais le lendemain, le bateau est pris dans une violente tempête cyclonique et se fourvoie près des récifs d'Alftanes. Il bateau percute de plein fouet les récifs escarpés et coule. Le naufrage fait 23 morts et 17 disparus. Il n’y aura, de cette malheureuse expédition, qu’un seul survivant, un certain Eugène Gonidec dit Pingouin. Ce dernier racontera que le commandant Charcot, voyant sa fin approcher, libéra de sa cage une mouette qui était la mascotte du bord. Mort en mer le 16 septembre 1936, la dépouille de Jean-Baptiste Charcot sera rapatriée et enterrée à Paris, au cimetière de Montmartre, le 12 octobre 1936. Il eut droit à des funérailles nationales.

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Je reviens à présent à la biographie de l’immeuble Charcot, ce bâtiment de neuf étages construit en 1968 dans la foulée des grands ensembles urbains destinés à offrir dare-dare un parc logement aux flux de populations de toute sorte (cheminots, pieds-noirs rapatriés d’outre-mer et autre travailleurs immigrés) qui affluaient vers Chenôve. Quarante ans plus tard, le contexte social, économique, urbanistique, a totalement changé. Les sociologues, les politiques et les urbanistes préconisent à l’unisson la nécessité de démonter ces ghettos. Qui plus est, la ville de Chenôve aspire à une meilleure organisation de son cadre bâti. La nécessité de se doter d’un véritable centre-ville se fait sentir. Il était donc inévitable que l’immeuble soit sacrifié pour les besoins de cet ambitieux programme de renouveau urbain.
Toujours est-il que les visages que j’ai croisés ce matin au pied de Charcot, étaient des visages fermés. A l’heure de l’implosion, nous avons tous eu le souffle coupé, ceux qui ont connu Charcot aussi bien que ceux, comme moi, qui étaient juste de passage. De la terrasse de la bibliothèque François Mitterrand, la scène était spectaculaire. La voix de Brigitte Lemoine qui égrenait le compte à rebours était fortement émue. Je n’avais pas eu le temps de tout voir que l’immeuble était plié. En deux temps, trois mouvements, la bâtisse rectangulaire avait disparu du paysage. Il a fallu tout de même 800 charges de dynamite, soit plus de 100 kilos d’explosifs, pour y arriver. Un épais nuage de poussière s’éleva aussitôt dans le ciel. Une traînée d’oiseaux pris son envol pour sauver ses ailes. Scène apocalyptique. Impression d’un mini 11 septembre contrôlé. Tout le monde eut une pensée pour le cèdre, cet arbre qui est arrivé à Chenôve avant tout le monde, lui qui affiche 150 ans d’âge. Qu’est-il advenu de lui ? Suspense. Tout le monde avait les yeux rivés sur le champignon de poussière qui progressait encore. Il faisait froid. Mais il ne pleuvait pas. La pluie eût été la bienvenue pour dissiper ce brouillard de béton pulvérisé. Ce sera inutile. Les démolisseurs ont fait un vrai travail de pros. La preuve : la silhouette du cèdre apparaît peu à peu, intacte, miraculeuse, majestueuse, se découpant dans le nuage ocre et dardant ses branches plantureuses sur le Mail telle un soleil vert. Tout le monde pousse un ouf ! de soulagement. Mais la stupeur est là. Je la lis sur toutes les lèvres. « Oh mon Dieu ! » « C’est incroyable ! » susurre-t-on, incrédules. Je n’ai pas vu de larmes autour de moi, mais, croyez-moi, il y en a eu. Moi-même je retenais à grand-peine une petite goutte mélancolique. J’eus un vrai pincement au cœur. Je me sentais un peu chose. J’ai eu à un moment donné une pensée pour la tour où je fus élevé à Boufarik, immeuble de 13 étages qu’on appelle « La Citi Touila », littéralement « la longue cité », et je me demandai ce que j’aurais éprouvé si ma « citi touila » avait subi le même sort. En une fraction de seconde, Charcot n’était plus là. Il était pourtant bien imprimé là, dans mon petit Sony numérique. Tel un touriste Japonais, je n’arrêtais pas de le bombarder de mes clics, comme si cela pouvait prolonger sa vie et proroger ses battements de cœur avec chaque clic provoqué. Le nuage de poussière se dissipa totalement au bout de dix minutes. Un travail de pros. Impression d’un Manhattan sans les Twin Towers. J’avais vu un court métrage comme ça où sur un plan-séquence braqué sur les deux tours, on les voyait bien dressées au-dessus du monde, et, le temps qu’une peluche traversât l’Hudson en occultant le panoramique par devers la caméra, il n’y avait plus rien. Sur les photos prises après l’implosion, Charcot n’était déjà plus là. Il avait rejoint l’épave du Pourquoi-Pas ? L’immeuble n’était plus à présent qu’un monticule de gravats et un monceau de souvenirs. Des souvenirs en béton, ça, je peux vous le garantir. Et ce n’est pas un jeu de mots !

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« Le Cèdre est debout ! Le Cèdre est debout ! »
Toujours est-il qu’il est difficile de contenir son émotion après un tel spectacle. En fait, j’étais en proie à des sentiments mitigés où se mêlaient la stupeur, l’émoi, la tristesse, l’odeur de la mort, un absurde soulagement et puis, de l’étonnement face à la démolition (démonstration ?) de haute technicité à laquelle je venais d’assister. Le temps d’un étourdissement et le match était plié. Il faut le faire. Ce sont vraiment des pros, les gars de la SMD, je vous le disais. Chapeau bas, Messieurs ! Pas facile de réussir une telle prouesse. Aux alentours de la bibliothèque, il n’y avait pas de poussière. Mon blouson pourtant sombre était clean. C’est le mot. C’est un travail clean. Propre. Rasage - après rasage. Les voici d’ailleurs arrosant le site à grande eau pour ramener la poussière à terre, sous le regard hagard du cèdre qui semble un peu ailleurs tout de même. Il aura de quoi, de qui, s’occuper en tout cas. Il y a encore un immeuble à côté, le François-Rude. Deux ans de sursis avant de passer lui aussi à la dynamite.
Dans la salle de l’Espace Culturel, conférence publique dirigée par le maire de Chenôve, M.Jean Esmonin. A la tribune officielle, il y avait aussi M.Dominique Bur, préfet de la Région de Bourgogne et préfet de la Côte d’Or, François Rebsamen, maire de Dijon et président de la communauté de l’agglomération dijonnaise, Mme Maddy Guy, présidente de l’OPAC de Dijon ainsi que d’autres personnalités, représentant plusieurs institutions qui, chacune, revenait sur cette opération en en expliquant la portée et les retombées socio-économiques.
Je filai ensuite au gymnase Gambetta pour voir les premiers rushs de l’implosion filmés par Jean-Marc Bordet et son équipe. Les images étaient dures à regarder. Charcot était déjà au passé, avait déjà été relégué dans la case « souvenir ». En guise d’ultime hommage, nous nous rendîmes ma femme et moi sur le site. Dernières photos avant le grand balayage. Le cèdre était là. Imposant. Imperturbable. Toisant le monde du haut de ses 25 mètres. Et tout autour, du vide. Une béance. Peut-être l’écho de mon gouffre intérieur…Regard circulaire sur le centre commercial et les bâtiments autour, d’habitude grouillant de vie, résonnant des piaillements des gamins et des clameurs des jeunes, et qui, à cet instant-là, ne résonnaient plus que des bruissements du deuil et des sifflements stridents produits par les rafales de vents froid qui cinglaient contre ces hauts murs encore debout alentour, ceux probablement des prochaines déconstructions. Des engins s’affairaient à nettoyer. Des ouvriers de la SMD, généreux, fabuleux, continuaient à s’occuper du lieu comme s’ils y avaient vécu. Remarquez, ils y ont vécu d’une certaine manière, eux qui sont là depuis plusieurs mois, qui ont rencontré des anciens de Charcot, qui sont entrés dans chaque appartement, qui ont eu à démonter des salles de bain et raboter des kilomètres de papier peint. En voilà d’ailleurs, un pan de papier peint, gisant parmi les pierres. Amina s’approche de l’un des ouvriers en casque et tenue fluor. Elle souhaitait garder une pierre de Charcot, elle qui adore les musées, et qui aime collectionner les vieilles reliques. Nous nous emparâmes d’un bout de carrelage aux motifs kitch et fîmes nos adieux à Charcot, le père, le fils, l’immeuble et l'épave du Pourquoi-Pas ?

Mustapha Benfodil



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