mardi 22 avril 2008


Photo de famille avec le Cèdre


« A chaque effondrement des preuves,
le poète répond par une salve d’avenir »
René Char.



Mardi 22 avril 2008. Huitième séance de l’atelier d’écriture. Poursuite du travail sur les nouvelles devant composer « Le Roman de Charcot ». Décidément, mon groupe se surpasse. A l’approche de la date fatidique du 29 avril où, le temps d’une soirée littéraire, nous allons lire nos textes en public, l’atelier explose. De plus en plus débridé, baroque, intense, passionné, il nous gratifie, de séance en séance, d’un véritable feu d’artifice poétique. Je ne contrôle plus rien, je ne gère plus rien, la passion nous déborde, les textes, d’une facture plus qu’honorable, donnent lieu à de véritable joutes littéraires où les participants rivalisent d’imagination, de talent, de panache et d’inventivité.
Aujourd’hui particulièrement, j’ai écouté des choses qui m’ont…permettez-moi l’expression, laissé sur le cul. Les auteurs ont fait montre d’une fécondité narrative époustouflante. Ils ont été chercher des choses improbables, invraisemblables, des trucs complètement fous, ils ont fouillé à l’intérieur d’eux-mêmes, mis sens dessus dessous leur mémoire et le foutoir de leur subconscient. Non, ils ont été tout simplement épatants, plus créatifs les uns que les autres, avec, chacun, un angle, un style, une atmosphère, originaux pour dire la disparition de Charcot.
Helen nous a lu un fort joli texte, une sorte de conte urbain plein d’entrain, d’énergie, d’insolence et de tendresse, intitulé : « Le petit bonhomme de bois ». Une histoire complètement détonante où il est question d’un bonhomme de bois faiseur de miracles qui agit comme un « reconstructeur de déconstructions » en damant le pion au Démolitator, le tout servi par une langue jeune, fraîche, moderne et truculente. Chantal est partie sur une histoire dont les protagonistes sont toutes des femmes. Je le lui ai dit : son récit pourrait fort bien servir de script pour un film d’Almodovar. Elle a vu juste en tout cas : ce sont les femmes qui détiennent le pouvoir au sein de nos immeubles cacophoniques. Ce sont elles qui créent du lien. Son récit aborde précisément les liens noués entre quatre filles, sur fond de tranches palpitantes de la vie de quartier. Elle construit son intrigue sur la maladie de Simone, la libanaise du groupe dont l’âme sera confiée aux bons soins du cèdre protecteur. Pascale emprunte les ressources insoupçonnées du polar pour dire, dans un style loufoque et pimenté, le cadavre de Charcot. Elle démarre d’un cadavre découvert au pied du Cèdre, et dont le spectre hantera les habitants de la cité. Danielle laisse dérouler, dans une veine réaliste, le film de sa mémoire où s’entremêlent les souvenirs de Charcot et ceux de Péguy où vécut sa mère tandis que Michèle explore, par des récits de vie, la mémoire de Chenôve en confrontant le destin de plusieurs familles qui se sont retrouvées dans cette ville. J’étais littéralement abasourdi d’apprendre de la bouche de Michèle que c’est la première fois qu’elle se livrait à pareil exercice. La qualité, la structure et la fluidité stylistique de sa nouvelle m’auraient pourtant autorisé à supposer que c’est plutôt une personne largement habituée à taquiner la muse.
Anne Philippe me subjugue comme à son habitude en adoptant, cette fois, le registre de l’étrange et les ressorts d’un genre tout à fait inattendu, la science-fiction, pour aborder le sujet. Elle choisit « la Terre de Charcot », (territoire au reste authentique comme le démontre la biographie du commandant Charcot) comme théâtre de son récit en se lançant dans une espèce de conte écologique aux accents catastrophistes. Impressionnant !
Roza, elle, a choisi d’inscrire sa nouvelle sous l’angle du déracinement à partir de la situation d’un père et d’un fils qui appréhendent différemment la démolition de Charcot. Pour le père, c’est un triste événement quand il songe aux 40 ans de vie passés dans l’immeuble et le confort relatif qu’il y a trouvé. Il se consolera en songeant que ses vraies racines, son vrai confort, en définitive, sont là-bas, au bled, dans son Algérie antique. Il finit d’ailleurs par retourner au pays profiter de la maison qu’il y a bâtie. Le fils, lui, se réjouit de la disparition de cette cité HLM qu’il a toujours maudite parce qu’il s’y sentait parqué comme un paria, lui qui veut une intégration entière, sans concessions, et qui, sans vouloir couper les ponts avec le pays d’origine, entend vivre pleinement sa vie dans son pays d’accueil sans se sentir coupable ni redevable envers qui que ce soit.
A la fin de la séance, je demandai à Aurélie de lire sa nouvelle, un texte sans titre. Je voulais qu’elle le lise intégralement. Je voulais qu’elle dispose de tout le temps utile pour le lire. C’est un texte extrêmement poignant, largement autobiographique, centré sur un événement douloureux vécu par Aurélie et que nous avons partagé ce soir avec elle, émotion, pensées et larmes à l’appui : la perte de sa chère maman. C’était son Charcot à elle. Son texte nous a bouleversés.
J’aimerais souligner, pour finir, que nous avons eu le plaisir d’avoir avec nous aujourd’hui Elisabeth Huard, journaliste au quotidien Le Bien Public. Elle a consacré tout un reportage à notre atelier d’écriture. Elle tenait absolument à nous faire prendre une photo de famille in situ, devant les décombres de Charcot, à l’ombre du cèdre tutélaire. Ce n’était pas une mauvaise idée. Ah, que de choses n’as-tu pas remuées en nous, ce soir, sacré Charcot ! Que de secrets, de non-dits, de choses tues, refoulées, des choses parfois pénibles, de vieilles casseroles, des cadavres empuantis, n’as-tu exhumés de nos placards intimes, Charcot ! Rien que pour cela, ta disparition n’aura pas été vaine.

Mustapha Benfodil.




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