samedi 19 avril 2008






Le village vertical



Vendredi 18 avril 2008. Septième séance de l’atelier d’écriture. Je me réjouis aujourd’hui de voir le groupe presque au complet en dépit d’un temps pourri. Je note le grand retour de Michèle. L’atelier s’est même étoffé de nouvelles têtes, à l’instar de Danielle ainsi que Bruno, le demi-frère de Michèle.
Il convient de signaler que depuis la séance du mardi 15 avril, l’atelier est dédié exclusivement au travail sur les nouvelles qui constitueront « Le Roman de Charcot ». Lors de l’atelier précédent, les premières trames prenaient forme, et nous eûmes même le plaisir de cueillir un premier texte déjà prêt, très bien emmené, composé avec talent et délicatesse par Nadine. Son titre : « SAJ, Momo, Thérésa et les autres ». La même Nadine « récidivera » en nous gratifiant d’une deuxième nouvelle écrite dans un autre registre, le tout en un temps record. Force m’est de reconnaître que Nadine est vraiment douée. Elle a une parfaite maîtrise du sujet, elle qui a un sens aigu de la « diégèse », c'est-à-dire l’art de raconter le monde chez Aristote. Il faut croire que ses talents de conteuse décuplent son « pouvoir narratif » et l’étendue de son imagination. Elle a une totale possession de son art. Au reste, j’ai la chance de compter dans mon atelier de vrais talents littéraires à qui ne manque qu’un éditeur hardi et lucide.
Avant de nous replonger dans nos contes respectifs esquissés antérieurement, je jugeai utile d’inviter les participants à dire quelques mots, chacun, sur l’événement de la veille qui marquera longtemps, j'en suis certain, la mémoire collective de Chenôve. Je pense à la disparition de l'immeuble du Commandant Charcot. J’avais prévu d’inviter tout le monde à un ultime « pèlerinage » sur les décombres de Charcot, histoire de se recueillir sur ses restes, de chercher l’inspiration dans un détail comme ce fut le cas pour Michèle dont l’attention fut attirée par un évier de cuisine qui était resté intact sur sa montagne de gravats, et qui devait résonner encore de toutes les scènes de ménage et les odeurs affriolantes de bœuf bourguignon ou de couscous au mulet, c’est selon, dont sa mémoire en aluminium était chargée. Le pèlerinage était même annoncé dans Le Bien Public. Malheureusement, les conditions météo nous en empêchèrent.
Fatima parla la première. « Je marchais et je le cherchais du regard. Par moments, je le perdais de vue, ensuite, je le retrouvais entre les barres, et de nouveau, il s’éclipsait » dit-elle en nous livrant son angoisse aux ultimes instants avant la disparition de Charcot du paysage. « Je me frayais un chemin entre les gens. Ils étaient émus, beaucoup retenaient difficilement leurs larmes. » poursuit-elle. Fatima évoquera aussi le cas d’une famille qui avait longtemps vécu à Charcot. « Les parents sont partis tout récemment en Algérie pour un petit séjour. Je crois qu’ils ne voulaient pas assister à l’explosion. Ils ont délégué leur fille Rachida pour y assister » Elle relève à la suite de Pascale l’idée avancée par Rachida d’organiser un repas entre anciens de Charcot.
« Le cèdre m’a paru un peu sonné » enchaîne Chantal, avant de s’attarder sur la célérité avec laquelle on tourne la page. « Généralement, j’oublie vite. D’ailleurs, il est surprenant de voir oublié au bout d’une demi-heure quelque chose qui a mis autant de temps à se construire » souligne-t-elle. Comme Fatima, elle a une pensée pour le « passage Charcot », ce corridor qu’empruntaient les passants à l’ombre de l’imposant immeuble. « Oui, ce couloir, c’était quelque chose » acquiesce Fatima. Chantal note que la démolition a littéralement atomisé le bâtiment en faisant remarquer, à juste titre, que « le grignotage, c’est pire ». « Symboliquement, c’est comme si l’engin mangeait votre appartement. Vous voyez encore les lambeaux de papier peint. Vous reconnaissez votre chambre ou votre cuisine. C’est cruel. » Chantal évoque aussi cette réflexion entendue dans la bouche de certains qui, prenant la chose avec philosophie, faisaient observer que Charcot constituait tout de même une barrière entre le Vieux Bourg et la ZUP, les Cheneveliers du haut et ceux du bas comme on dit, et que désormais, cette barrière est tombée.
Nadine nous invite, quant à elle, à tempérer notre émotion en rappelant le dur quotidien des cités HLM. « C’est vrai qu’il y a toute cette émotion, mais au-delà de l’aspect poétique des choses, il faut dire aussi que ce n’était pas tout rose dans ces cités. J’avais toujours l’impression qu’on y amenait les gens et qu’on les jetait là-dedans. Ce n’est peut-être pas le cas de Charcot mais certains immeubles sont complètement à l’abandon, et les gens qui y vivent s’en plaignent vraiment. Il y a des immeubles où, pendant que nous, on regarde le côté poétique, les habitants, eux, ils y bavent terriblement ! » Danielle abonde dans le même sens en soulignant le côté lugubre et invivable de ces ghettos lézardés et vétustes.
Pour sa part, Michèle s’accroche à une certaine image douceâtre de la vie dans ces immeubles où les rapports sont réputés plus chaleureux, tant et si bien qu’on eût dit des « villages verticaux » où tout le monde connaît tout le monde. Roza, elle, a eu une pensée pour les travailleurs en bâtiment « dont nombre d’entre eux ont laissé leur vie dans les chantiers de construction ». « Je connais plein de Maghrébines qui ont perdu leur mari dans ces chantiers. J’en connais une à Chevigny qui est devenue veuve à 27 ans. Une autre a son mari paralysé à vie » témoigne-t-elle. Roza parla aussi de son mari qui refusa d’assister au spectacle de la démolition de Charcot, et pour cause : « Cela lui rappelle les tremblements de terre qui font des ravages en Algérie. Il est traumatisé par le séisme de Chlef du 10 octobre 1980, et dans lequel il avait perdu plein de copains » confie-t-elle avant de lancer : « Par malheur pour lui, chaque fois qu’il retourne en Algérie, il y a un séisme. Ça a été encore le cas lors du terrible séisme du 21 mai 2003. »
Pour finir, Marie-Luce s’est fendue d’un témoignage féroce sur Charcot, un immeuble qu’elle connaît de près puisqu’il lui a toujours barré la vue au point, dit-elle, qu’elle en était venue à concevoir une haine teigneuse à son encontre. « Je n’arrêtais pas de le maudire, et j’en voulais beaucoup à ma mère d’avoir emménagé dans cette HLM où, avec toutes ces tours alentour, j’avais l’impression d’être dans une cour de prison » tonne-t-elle. Pourtant, avoue Marie-Luce, quand le jour fatidique est arrivé, ses sentiments changèrent du tout au tout à l’endroit de Charcot. « J’ai passé toute la soirée d’avant la démolition à aller et venir entre le séjour et le balcon. Toutes les dix minutes, j’allais le prendre en photo. C’était une soirée bien tristounette ». Et de renchérir : « Pourtant, je n’avais aucun lien affectif avec ce bâtiment. A part ma sœur qui y vécut quelques mois il y a de cela très longtemps, je ne ressentais rien pour lui. Pour tout dire, pendant longtemps, je ne connaissais même pas son nom ». Mais les ruptures sont toujours pénibles, même les plus bénéfiques, n’est-ce pas ? « De le voir comme ça m’a profondément chagrinée. J’en avais la chair de poule. Et j’ai fini par avouer à mon fils que finalement, cette vue dégagée ne m’apportait strictement rien. Après l’avoir maudit, je me suis surprise à dire que c’était finalement pas mal, avec Charcot en face. C’était notre rempart. On se sentait protégé avec Charcot. Maintenant, je me rends compte que je suis en plein centre-ville, au milieu des feux rouges, moi qui fuyais l’animation des villes. Charcot, c’était quand même une bonne compagnie. Maintenant, il me manque. »

Mustapha Benfodil

2 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est joli, triste, émouvant...Quelle belle matière à écriture. Bravo à toi, bravo à tous. bravo à ceux qui t'ont emmené là et bravo à ceux qui t'ont rejoint. Bravo à toi qui sait transmettre ton enthousiasme et ton savoir, bravo à ceux qui savent l'acueillir! je te bise cher Mustapha.

Anonyme a dit…

Juste un petit poème, qui n'est même pas de moi, pour dire à Mustapha qu'on l'aimait déjà, avant son arrivée, mais que le voir partir sera un déchirement... Alors, parce que ça va être vraiment triste, un "poème con", pour sourire quand même, surtout quand il nous vient de Jean L'Anselme, c'est toujours ça de pris...

Nudité brève

Quand nue t'es là
sur le lit, là,
dans le simple appareil
d'une beauté qu'on vient
d'arracher au sommeil,
oh ! là-là !
la vie vit
la vie va.

Quand nue t'es là
sur le lit, là,
quel choc! Holà !
Pascale