vendredi 30 mai 2008

En souvenir de notre atelier d'écriture

Par: Nadine Piccolo


« Oh ! Désolé, désolé, je n’ai pas vu l’heure passer et je suis en retard ! Désolé, vraiment ! »
Le vieil homme leva la tête lentement. Surpris, il sourit et détailla le jeune dégingandé qui se tenait debout sur le seuil de sa maison.
- Entre, fais pas d’manière avec les heures, elles ont le temps de te grignoter avant que tu les respectes.
Mustapha fit un pas. Ses yeux avaient du mal à deviner les contours de la pièce tant la pénombre de l’endroit tranchait avec la lumière vive du dehors. Il tordait son chapeau entre ses mains comme un enfant qui cherche le bon moment avant de se lancer pour réciter sa poésie à la maîtresse d’école.
Monsieur Angelo était assis dans un large fauteuil, un trône de sage pour un humble personnage, image que le journaliste qu’était Mustapha, ne put que retenir.
- Alors, je t’attendais. Tu m’as dit dans ta lettre que tu étais pressé de me rencontrer, c’est pas en restant sur le pas de ma porte que tu vas faire ma connaissance.
Toujours fidèle à son image, l’humour en étendard, par ses mots il invita le visiteur à entrer. Sans se lever, il s’empara de la bouteille de vin cuit et servit deux verres, préparés à l’avance.
Mustapha, assis sur le bord du banc, se délectait de l’instant. Il aimait par-dessus tout les premiers mots, les phrases qui donnaient rythme et chaleur à un entretien. Il avait eu bien du mal à obtenir ce rendez-vous. Non que l’homme en face de lui soit une figure tant réclamée qu’il faille patienter pour le trouver disponible, mais plus que cette journée, ce moment, était si important pour lui, pour son projet, qu’il avait refusé de précipiter les choses. De jours en dates, de mois en saisons, il avait tenu un carnet des « possibles » et c’était en ce matin d’avril, lune montante ou autre, allez savoir, qu’il se tenait enfin devant lui.
Après un long moment de silence réciproque, il s’enhardit :
- Voici ce qui m’amène. Vous avez par le passé écris de nombreuses nouvelles, des textes forts ou intimes qui tous étaient liés aux immeubles que vous avez vus construire et détruire ensuite. J’ai cherché de longs mois si vous aviez rédigé quelques lignes sur Charcot, une barre qui se situe à Chenôve en Côte d’Or, mais curieusement, je n’ai rien trouvé. Ces frères d’armes oserais-je dire, ont eu l’honneur de votre plume mais lui : pas ! Pouvez-vous m’en parler, ou me dire simplement pourquoi ???
Le vieux ferma les yeux. Une liste variée défilait dans sa mémoire, classement des évènements, recensements des coups, des hommes, des voix, des jours à traquer l’évènement. Episodes qu’il avait traversés et qu’il avait chaque fois retracés en articles ou textes divers. Oui, il se souvenait… Charcot, le fier. Charcot à la proue d’un navire qu’était le mail. Charcot celui qui ne se laissa pas prendre, et pour cause…
- Ah ! Tu me fais un drôle de cadeau mon gars ! On pense souvent que les vieux avec le temps perdent la mémoire ou qu’ils s’accommodent de la trier à leur façon. Si seulement je faisais partie de ces sages là quelques fois. Mais non ! J’hésiterais tout de même si c’était le cas, à y enfouir Charcot et tout ce qui me lie à lui depuis si longtemps...
Mustapha se dandine sur le banc. Il ne pensait pas en venant dans ce petit village, qu’il allait déranger et surtout contrarier ce vieil homme. Sa timidité chronique liée à ses bons sentiments sont mis à mal en un instant.
- Je suis sincèrement désolé si je vous ai blessé en vous peignant de mauvais souvenirs…
Monsieur Angelo éclate de rire, il manque de renverser son verre qu’il vient de remplir pour la deuxième fois.
- Non, petit, tu n’y es pas, ce ne sont pas de mauvais souvenirs, oh que non ! Si tu as du temps, je te raconte ! Assieds-toi dans l’autre fauteuil.
Mustapha s’installe confortablement et Angelo commence à parler.
- Vois-tu, je n’ai pas toujours eu cet air rugueux, ce front si plissé que les petits enfants parfois, me demandent s’ils peuvent y tracer des chemins au feutre non : un jour j’ai été je crois, un bel homme à ce que disaient les filles et à les voir arrondir les épaules, ralentir quand je passais près d’elle, faut croire que c’était un peu vrai. Moi, tu t’en doutes, je ne m’en rendais pas compte. Je parcourais depuis déjà de longues années toute la France, et même parfois un peu plus loin : l’Italie bien sûr, la Belgique quelques fois et l’Espagne. Tous ces voyages dans un seul but comme tu le sais déjà : écrire et écrire encore. Certains se spécialisent en roman de mer, d’autres en aventures montagneuses et bien moi, par le hasard de ma vie d’enfant qui tu ne le nieras pas, instrumentalise très souvent notre avenir, je me suis retrouvé du haut de mes vingt cinq printemps, une obsession en tête : écrire sur les immeubles, ceux qui avaient fait périr mon grand-père et voler le temps à mon père. Je les ai beaucoup haïs tu peux me croire mais curieusement, très vite, j’ai compris que ma démarche n’était pas de toucher ma douleur mais bien de comprendre, de vouloir saisir la mentalité des maçons, la parole de l’ouvrier qui construit pour l’autre, lui qui souvent, n’a pas grand-chose. Savoir aussi ce qui mûrit dans l’esprit de celui qui trouve son camarade mort au fond de la fosse ou qui laisse partir un compagnon, handicapé à vie. Comment fait-il pour remonter sur les échafaudages dès le lendemain ? TOUT tu m’entends, je voulais tout connaître et j’avoue qu’aujourd’hui, certaines paroles, certaines confidences, j’aurais peut-être préféré ne pas les entendre ! Ressers-nous, le vin ne fait du mal que si on le boit avec les lèvres minces, à contre-cœur.
Mustapha un peu gêné, ressert Monsieur Angelo et lui, ensuite. Sa main tremble un peu. Le charisme du vieil homme le perturbe.
- Chaque mois, je faisais un planning, comme on dirait aujourd’hui. Je notais toutes les informations concernant les constructions, celles qui débutaient, celles qu’on allait bientôt fêter, celles également dont l’avenir ne tenait qu’à un fil et dont les murs tremblaient d’avance, avant la destruction. Je traçais le plan de mes périples. Je tenais un carnet de voyage d’un genre particulier où le béton remplaçait la courbe des vagues, les murs bordaient les pages. Je ne prenais des vacances dans telle ou telle région, qu’à condition d’être sûr de pouvoir mener mon enquête au plus près. J’étais insouciant. Je commençai vite à croire que j’avais oublié la naissance de ma quête et c’était un peu vrai. Les plaies se referment si on leur en laisse le temps ou si on les aide, un peu !
Puis un jour d’avril, j’ai appris qu’en Côte d’Or et là, tu vois où je veux en venir… Un immeuble de dix étages allait être déconstruit. Imagine ma joie : ça faisait deux ans que rien de semblable en France n’avait eu lieu. J’étais comme un gosse. Le soir même je préparai mes affaires, pris pellicules, appareil photos et autres bagages et le lendemain sans plus attendre, je partis pour la Bourgogne. Je connaissais déjà les lieux. Mes recherches m’avaient happé quelques années auparavant pour une autre barre non loin de celle-ci. Je trouvai un hôtel pas très cher et pas très éloigné du quartier et profitai des deux jours qu’ils me restaient, pour flâner, parler, recueillir témoignages et images à tout venant. Les démolisseurs sont toujours un tantinet cabotins et c’est donc avec bonhomie qu’ils me permirent de monter dans Charcot, de poser des questions et même de faire leurs portraits journalistiques : du Bonheur !
Je réalisais dans ces moments-là la chance que j’avais, la liberté qu’était ma vie et le peu de contraintes que je m’imposais. Puis, le deuxième soir, parcourant les abords de l’immeuble, je surpris un jeune fille qui se faufilait sous le grillage maintenant apposé tout autour des murs. J’aurais pu passer mon chemin mais je ne sais pourquoi ce soir-là, je la suivis sans l’ombre d’une hésitation. Je marchais sans faire de bruit. Mes pas ne ressemblaient pas au battements de mon cœur qui allait, j’y ai songeai, explosé dans l’instant ! J’imaginais un grand frère me transperçant de sa fine lame, un ouvrier me tirant comme un lapin croyant qu’on venait lui voler son matériel, bref : je n’en menais pas large. Marche après marche, je me suis retrouvé bientôt tout en haut de la tour. J’étais si essoufflé que j’avais du mal à voir clair, mon dos courbé, les mains sur les genoux, je tentais de reprendre l’air et ma dignité. Quand la lueur d’une lampe attira mon attention. Je me plaquai contre le mur et tentai de voir ce qui se tramait tout près. Si tu n’as jamais vu de fée, si à ton âge tu ne sais pas ce qu’est le dessin d’une courbe féminine, si…
A ces mots, Mustapha voulu gentiment protester. Dire son aimée, dire son amour pour elle mais Angelo ne s’interrompit pas pour lui laisser le temps d’évoquer la belle Amina. Celle qui savait s’effacer pour qu’il se détende, le soutenir pour qu’il s’appuie, le faire rire et l’émouvoir, aussi !
- Quand je trouvai l’audace de regarder ce que le mur me cachait, j’eus un véritable choc ! L’implosion mon gaillard, n’est rien à côté de ce que mes yeux découvrirent. La jeune fille entrevue était là, bien là. Nue comme on peut l’être quand on l’est vraiment. Nue et belle, mais belle ! Je ne sentais plus mon corps ou si, mais… trop ! Je ne bougeais plus. Elle entra lentement dans une baignoire oubliée là. Comment l’avait-elle remplie ? ça, je ne pourrais le dire mais ce qui est sûr c’est qu’elle glissa dans l’eau comme un sirène. Ses rondeurs, ses longs bras que j’imaginais soyeux au toucher, me faisaient l’effet d’un cocktail pour soldats. Puis, alors que je me demandais où cette scène allait me mener, elle tendit vers moi la main. Non, ne soit pas tenté de rire. Ce n’est pas un conte. Elle m’invitait véritablement à la rejoindre. Je sais que les bonnes manières demandent à ce que les personnes partageant la même baignire fussent présentées avant mais, avions-nous le temps ? Charcot implosait le lendemain.
Mustapha sourit. Il imaginait la scène, peut-être la pleine lune qui en rajoutait un peu !
- Je ne suis pas très brave à vrai dire devant les filles mais une telle invitation ne pouvait prétendre à un refus. J’avais déjà vécu des « expériences » comme on dit, mais pas de véritable passion, pas d’amour fou dans ma vie. Là, je crois que j’en ai oublié mon nom, l’endroit où était mon hôtel et peut-être même, le but de mon voyage. Nous avons joué de nous, nous avons goûter la peau de l’autre, nous avons laissé la lampe s’éteindre et le jour nous surprendre, blottis, transis, réfugiés l’un contre l’autre. Puis il y a eu les bruits. Les hommes, les groupes de plus en plus nombreux de policiers et de gens du quartier. Tous s’agitaient. Tous plus matinaux que les autres jours pour préparer l’évènement. Ma charmante se redressa d’un bond. Elle était comme prise de panique. Elle tournait sur elle-même, toujours aussi nue que la veille. Je l’aidai à se vêtir et passai sur ses épaules le pull fin que je possédais. Avec tendresse, je tentai de la calmer mais rien n’y fit. Elle voulait une seule chose, redescendre rapidement. J’avais beau lui expliquer que l’implosion n’était pas pour tout de suite, de si bonne heure, elle ne m’entendait plus. Main dans la main, nous avons repris le chemin inverse. Craignant de nous faire prendre, nous avons pris mille précautions pour nous extraire de l’immeuble et pour nous cacher tout près. Je réalisai, dès les premiers rayons pâles tombés sur moi, que tout mon matériel photographique était resté à l’hôtel. Mes notes, mon inséparable carnet où je couchais toutes traces d’un exploit chaque fois que j’y assistais, tout était dans ma chambre. La réalité me surprenait. Je voulus prévenir ma tendre compagne de la nuit que j’avais un chemin à prendre, un but à atteindre mais quand je tournai les yeux, elle pleurait. Vrai ! De grosses larmes inondaient son visage sans qu’elle s’en cache pour le moins du monde. Devant ma surprise non feinte, elle me confia un morceau de vie un peu embrouillé dans lequel je retenus les mots qui me frappaient : pas voir, finir, jamais, fuir, peur, destruction, abri et tant de phrases qui les liaient que je dus l’interrompre gentiment.
Voilà, tu sais tout, tu sais pourquoi je n’ai jamais écris sur Charcot et que je n’ai pas non plus d’images à montrer.
- Mais elle finit là votre histoire ? L’avez-vous revue votre princesse ? Lui avez-vous dit un jour votre quête et raconté votre vie ?
Au moment où le vieil homme allait répondre, une femme entra dans la pièce. Elle posa son panier de linge sur la table et donna avec vigueur, une poignée de main à Mustapha.
- Il veut savoir comment s’est finie la journée de Charcot ?
- Oh ! Canaille… tu ne lui as pas tout raconté quand même ?
La vieille femme disparut dans la pièce attenante. Monsieur Angelo sourit à son invité rougissant.
- Dis-moi au fait, pourquoi voulais-tu que j’écrive AUSSI sur Charcot ? Il y en a bien d’autres que j’ai dû rater depuis.
Se remettant difficilement de ses émotions, Mustapha expliqua.
- Je suis depuis quelques temps, oh ! pas pour longtemps, dans la commune qui l’a vu tomber. J’ai pu avec d’autres mains, écrire quelques pamphlets, notes, nouvelles et autres commentaires ou tranches de vies glanés dans les mémoires ou envies de chacun. Nous avons mis notre cœur dans cette rencontre et je voulais être sûr que nous vous étions en quelque sorte, fidèles ! Le temps à combler le chantier. Les gens du quartier ont presque oublié le décors qui était le sien, avant, mais nous avons voulu lui raconter son histoire, faire revivre un bateau de pierre, une tour qui par moment à repris vie sous la plume de chacun.
- Dis-moi, quels sont ceux dont le nom forment ton groupe et qui ont fait, avec toi, ce bout de chemin tentant ?
- Ils sont nombreux.
- Oui mais moi, j’ai le temps !
- Alors, il y a :
Anne, elle écoute en penchant la tête, doucement, avec beaucoup de respect.
Helen dont la clownerie n’enlève rien à la tendresse, bien au contraire.
Joëlle flamboyante et décidée.
Bruno réservé mais là, avec nous.
Danielle qui se marie bientôt et porte cette date gaiement en elle.
Pascale, elle m’a trouvé, elle m’a tenu la main durant mon séjour et je ne serais pas neutre en parlant d’elle ! Elle est si… Un grand cœur, une grande dame…
Michèle qui se redresse, peu à peu.
Roza, Roza qui ne se contente pas de nous gâter avec de bons gâteaux. Elle nous gâte aussi en mots, avec beaucoup d’humilité…
Nadine, elle semble avoir trois vies et deux ou trois missions à mener chaque fois que je la rencontre.
Fatima, aussi désolée que moi quand elle arrive, elle nous offre en retour chaque soir, son franc sourire.
Sarah, si jeune et si vraie, dont les textes n’ont rien à envier aux grands !
Patrice, il prend des notes et observe, sourit. Il a souvent du mal à repartir.
Chantal qui cache ses talents d’écriture. Qui s’en défend presque !
Marie-Luce, dansante, charmante.
Aurélie, elle a commencer un chemin, certes difficile à parcourir mais à faire. Elle le fait !
- Et bien, en voilà du beau monde !
- Ce n’est pas tout. Si je peux vous dire encore.
- Oui bien sûr, pardonne-moi si je t’ai paru impatient !
- Non non, tout va bien. Je ne vous ai pas encore parlé de Yasmine, notre benjamine, petite furet tranquille qui tout au long de ces soirées est restée là, à attendre sans impatience, participant dans son silence à l’écriture familiale.
Amina… que dire d’Amina ?
- A lire tes yeux, ne me dis rien, j’ai déjà compris ce qu’elle est pour toi !
Mustapha rougit de nouveau.
- Continue, il va bientôt faire nuit et je ne voudrais pas que tu te perdes au retour.
- Azzedine, oui je dois parler d’Azzedine. Des heures durant à œuvrer pour que telle chose soit faite et bien, ou que telle autre réussisse en temps et en heure. Il a été tout au long de cette aventure, le maître d’œuvre. Je manquerai de « mercis » quand je le quitterai !
- Mais les quitteras-tu vraiment ? Tu en parles avec tant de complicité et d’émotion ?
- Oui, je les quitte bientôt mais c’est avec une tendresse au cœur et une certitude qui m’aide véritablement à partir : je suis certain que je reviendrai et que je les reverrai, un jour prochain. Et si ce hasard ne se concrétise que tardivement, la vie est parfois ainsi faite, il est un fil qui nous relie, qui sert de chaîne mais pas d’entrave, c’est l’écriture que nous avons menée ensemble, les mots qui ont mijoté autour de la table et les rires oui les rires et les larmes aussi que nous avons partagés durant des semaines.
- Va, va les retrouver pour la dernière fois alors si j’ai bien compris, et dis-toi que tu as ma bénédiction si je peux dire ainsi. Rien dans tes mots et ton attitude ne semble mauvais. Tu es de cœur et sache que les gens comme toi, je les respecte et les admire. Reviens quand tu veux, si tes pas te ramènent dans le coin et ce jour-là, apporte moi ces textes que vous avez rassemblés pour qu’ils ne fassent qu’un.
Mustapha promis.
Au bout du chemin il se retourna.
Monsieur Angelo le regardait s’éloigner, sa compagne blottie contre lui, la tête tendrement posée contre son épaule.


En mémoire d’un atelier fait
D’artistes amateurs, mais passionnés,
Créateurs aux sens aiguisés par l’émotion,
Qui suivirent Mustapha,
Ecrivain au grand cœur, dans une aventure
Enthousiaste.

Nadine
29/04/08
1h09

jeudi 22 mai 2008


LA NOUVELLE DE HELEN RINDERKNECHT

Le bout de bois



C’était un jeudi, un froid matin d’avril. Une terrible implosion gronda dans le ciel et, en un battement de cil, Charcot s’évanouit dans un nuage de poussière sous le regard embué de S.A.J. Il se frotta les yeux persuadé que ce qu’il venait de voir n’était qu’une illusion…. Mais c’était faux. il avait enfin compris…

Nous n’étions pas devant un sinistre mais devant une renaissance. Tout avait commencé il y a 40 ans quand il était arrivé pour emménager dans cet immeuble propre convoitée par tout le monde, le gens avait enfin de l’eau courante, des toilettes des papiers peint propres, un sol, du chauffage, une aubaine pour lui qui venait de sa campagne profonde.

Il rêvait de grand air et la construction de l’immeuble de neuf étage lui avait donné plein d’espoir, les gens allaient pouvoir vivre dans un même endroit, se parler se soutenir, il allait pouvoir aller demander du sel à sa voisine Amina, boire un thé, manger un délicieux couscous et repartir, ils allaient pouvoir se soutenir.

Biensur les moments dur étaient aussi arrivés et quand il du accueillir son unique petit fils Amir après le décès de son fils et de sa belle-fille, il avait du relever ses manches de sa chemise, se montrer digne de son rang et lui apprendre les jolies choses de la vie mais aussi ses dures lois. Il lui avait préparer sa chambre au 4ième étage de la cage 4 une belle chambre de papier peint bleu avec des avions sur les murs, une table de nuit en forme de voiture, il s’était donné du mal pour accueillir Amir pour qu’il se sente bien, il avait économisé sur sa retraite maigre pour qu’il se sente lui aussi chez lui.
Amir était arrivé un matin de décembre, il ne parlait pas, il avait perdu le gout de parler au moment ou on était venu le chercher à l’école pour l’emmener dans une famille qu’il ne connaissait même pas et pour lui dire que son papa et sa maman ne reviendrait pas du travail, il étaient partis au ciel.
Mais SAJ avait tout prévu il était venu le chercher en vélo avec un joli porte bagage bleu et lui avait dis : « viens mon fils, je vais t’emmener dans un endroit ou tu auras des tas d’amis tu pourras jouer et jamais tu ne te sentiras perdu ».

Et c’était vrai la première sensation de SAJ à son arrivé au pied de Charcot était paisible, comme un rève qui se réalisait et une nouvelle vie qui commençait. Madame de Souza lui avait apporté ses fameux macaronis et Betina, de la famille hongroise du 6 ième, lui avait préparer des guirlandes de fleurs comme s’il était arrivé pour des vacances. C’était ce frisson de douceur qu’il avait voulu redonner a son petit fils.
Quand Amir est arrivé au pied de l’immeuble, devant la cage 4, il s’est arrêté et a regardé longuement le centre commercial, et puis il a lâché la main de son grand père et est allé doucement , pas à pas, se coller à un emblème du quartier, le grand cèdre au pied de l’immeuble qui était pour lui le seul être rassurant dans ce nouveau monde inconnu.
Il était grand, fort, ses grand bras l’enveloppait, rassurant ils allaient se lier bien plus qu’il ne pouvait l’imaginer à cet instant même.

Même s’il n’était plus que trois appartement occupé de l’immeuble avant sa démolition il se sentait chez lui mais le temps était compté, la déconstruction comme il savait le dire, était prévue dans quelque mois…il n’allait donc pas rester longtemps mais SAJ tenais a être le dernier a partir d’ici.
Arrivé dans l’appartement, tout était identique au souvenir de SAJ, madame de Souza et ses macaronis bien plus consistants qu’a l’époque, avec plus de gruyère plus de crème et de viande… les temps changent et c’était tant mieux.
Betina, elle aussi était au rendez-vous, elle aurait manqué cela pour rien au monde un nouvelle arrivant, une nouvelle jeunesse un bol d’air frais. Elle avait remplacé les fleurs par des bonbons pour qu’Amir puisse profités pleinement de la guirlande et la savourer en découvrant petit à petit les nouvelles pièces qui allaient devenir sa nouvelle maison.

La chambre apprivoisée, il alla jusque sur le balcon pour voir comment la ville se dessinait sous ses yeux, pas de métro comme chez lui, pas de périphérique mais beaucoup d’enfant qui jouaient dans le parc en bas des immeubles, le bruit de bus dans la rue, le monsieur qui se promène avec sa veste jaune fluo pour ramasser les papiers par terre, et puis ce cèdre encore la, il esquissa un petit sourire pour lui dire merci. Il tourna la tête et son grand père était derrière lui avec les mains dans le dos. « Tiens mon petit, c’est un cadeau de bienvenue, il était dans l’appartement à mon arrivée dans un coin de ta chambre, et je pense donc qu’il te revient de droit, moi je ne dors même plus dans cette chambre et puis il te serra bien plus utile qua moi.
Le grand père tenait dans ses mains, un……disons le un vieux morceau de bois qui ressemblait à un bonhomme, de la ficelle tenait ses bras et ses jambes, la jambe gauche était bien plus grande que l’autre, sûrement cassé avec le temps, mais ce bout de bois était quand même bien fait, un bouchon a la place de la tête avec des yeux dessinée au feutre et une bouche souriante et des petit pied en bouchon de bouteilles d’eau, de la ficelle n guise de cheveux, il avait tenu avec toutes ces années pensa Amir…. Quel drôle de bonhomme.

Amir regarda son grand père comme pour lui dire : « mais Papy, je suis un garçon je suis même un gadji comme mes potes m’appelait et ces bêtises, ce n’est plus de mon age… ».
SAJ avait bien vu la mine décontenancé d’Amir et rajouta « mon petit, prend bien soin de lui, ce vieux bonhomme est certes un peu usé, certes tu n’es plus un petit garçon mais il sera la pour veiller sur toi, on m’a même dit qu’il avait des pouvoirs magiques….foi de Papy SAJ »
« Mais oui c’est ca c’est ca ….. » pensa Amir, il se dit que le vieil homme faisait son possible pour lui rendre la vie plus facile et accepta le cadeau sans vraiment l’écouter, il préféra prendre ses marques dans sa nouvelle chambre avec sa musique, et son mp3 sur les oreilles. Il posa le bonhomme dans sa valise ouverte, et lui souris ironiquement.
Le « bout de truc » tomba lourdement dans la valise sa tête penchée vers la fenêtre.

Le soir venu, Amir ouvrit les yeux pendant la nuit le sommeil était long a venir et il ne se sentait pas chez lui, les bruits du périphérique lui manquaient, ils avaient certes entendu des jeunes rouler en moto dans les rues mais pour lui ne n’était qu’un partie de ses bruits habituels. il prit soin de ne pas faire de bruit pour ne pas réveiller son grand père.

Les yeux ouverts il se disait que les voitures sur les murs c’était vraiment un peu trop et qu’il allait avoir la honte si ses nouveaux amis venaient chez lui…
« Mais non ne t’inquiète pas ! Les avions, c’est joli et puis je le sais moi, ton futur copain Mustapha, a quant à lui des petits nuages car il a hérité de la chambre de sa sœur. Tu verras en arrivant dans sa chambre, il se confondra en des chuis désolée chuis désolé, vraiment » de peur que tu ne le répète à tout le monde. »
Les yeux écarquillés, Amir regardait droit devant lui en cherchant dans la nuit…
- Amir pensa …mais mais euh, vas-y qui parle ?
- - et bien, mon cher ami….
Il ne peux pas me parler pensa Amir….tu ne peux pas parler……. Il entendit le crissement de la ficelle serrée et d’un instinct marqué, Amir se leva et suivit le bruit comme hapé par un appel au creux de son estomac qui le guidait… en un instant il se retrouva devant l’ascenseur et de l’ascenseur devant la porte d’entrée, le bruit indécent de la ficelle le guidait encore et il sortit dehors pour le suivre…..
Arrivé dehors il leva les yeux il se trouvait devant le cèdre, ce grand bonhomme de bois (décidemment encore du bois……) se tenait devant lui et devant le cèdre le petit bonhomme.

- écoute mon petit Amir tu es mon nouveau macaroni au fromage, ma nouvelle guirlande de bonbon, mon nouvel appartement mon hôte quoi… regarde le cèdre et touche le…
Amir s’exécuta il posa la main sur la cèdre, rassurant comme au matin de son arrivée et en un claquement de doigt le sol l’engloutit et ses pieds s’enfonça dans le sol, un ascendeur mais celui la il n’en avait jamais vu des comme ca…. Un voix annonça vous étés arrivée au poste de contrôle cher Amir bonjour salamalikoum, bienvenito, buenos dias ,

Yahhaaaaaaa c’est trop la class hein ! « le petit bonhomme surgit en sautant devant la porte qui venait de s’ouvrir !!
Yo mec !! ca c de la bombe atomique !! et puis je suis deja la, un pro de la descente le bout de bois !!

Amir n’en croyait pas ses yeux mais sentait que le monde était différent à présent, il venait de passer de l’autre coté du cèdre… de la bombe atomique le bout de bois !!
Il s’avança doucement, une musique de snoop Dog marchait en ambiance, ouah il connaît snoop dog le truc…
Il était dans une salle des machines, une salle de conte, des postes de contrôle, avec des tv, des écrans lcd des micros partout, au milieu il y avait un siège rouge en velours façon années 70 mais avec beaucoup moins de classe tout de même sûrement un truc récupérer chez emmaus.
Le bout de bois venait de l’étonner mais il avait de drôle de gout pour la déco.

Il avait deja vu des salles comme ca quand il avait visité le métro parisien en CM2 mais la, avec snoop dog en fond, jamais de la vie !! et puis un ciel étoilé venait se placer au dessus de sa tête, une salle de contrôle en plein air mais enterrée….il n’en revenait pas…
Il remarqua une grosse molette sur le coté juché sur un socle et un énorme lecteur mp3 a coté… d’où sortait la musique.

- A ma droite tu vois les écrans sur Peguy enfin ce qu’il en reste j’ai encore un peu de travail mais j’avais mis un stagiaire sur le coup et c’est vrai il n’a pas assuré. Il ne reste malheureusement que les poussières d’étoiles à gérer mais Peguy est un gentil garçon il va déménager bientôt pour de vrai.
-
Le petit bonhomme sauta sur le fauteuil en velours et tourna comme s’il venait s’amuser sur un cheval d’enfant dans un jardin.
Yahhaaaaaaa !! tu vois ici c’est ton immeuble. »

Sur une dizaine d’écran on pouvait voir les appartements des dernières familles encore la, les cuisine, les salons, les couloirs grâce aux caméras de surveillance, mises en place bien avant que les humains l’ai envisagé.

« Silence, on tourne !!!!!!! » s’ecria-t-il !!.
Les deux individus se turent et un bruit de casserole se fit entendre :
Regarde ce sont les premiers demolitator* qui viennent prendre les marques, l’immeuble va être démoli dans quelque mois et je pense qu’ils doivent commencer les travaux…
les démolatators démontèrent une porte d’un appartement inoccupé, pour y entrer…

yahhaaaaaa !!! d’un cri le petit bonhomme sautilla et cligna de l’œil

« Monsieur Gaudin, la porte !! Elle vient de réapparaitre devant nous, monsieur gaudin, monsieur Gaudin nous ne pouvons plus rentrer »

« mais….. mais…. Comment ? » pensa Amir
-regarde ce n’est pas fini mon ami….

Les démolitators se retrouvèrent dans l’ascenseur et une voix douce leur annonce :
« messieurs vous êtes arrivés au rez-de chaussé, veuillez sortir de l’immeuble sil vous plait ! salamalikoum, auviedersehen, ciao bye !

*demolitator nom donnés par le bonhomme de bois pour désigner les professionnels du bâtiment architecte et autres démolisseurs prévus pour la déconstruction de l’immeuble.


- L’autre jour il on voulu arracher du papier peint dans l’ancien appartement de la famille Bilal et bien j’ai repapieté le mur d’un clin d’œil, avec les nuages de Mustapha, c’était drole ca alors !!! sur le derrière ils étaient… oui ils sont vraiment tombés sur le derrière….
Amir, vient avec moi…

Amir suivit le bonhomme de bois jusque devant une porte au fond de la salle des contes, une porte de couleur jaune apaisante et douce, il ouvrit la porte et Amir émerveillé découvris un nouveau monde…. cette porte ouvrait sur un univers étrange avec un horizon vaste et on pouvait y voir des immeubles, sautillants, ils bougeaient comme de vraies personnes, ils volaient, jouaient au carte construisait des maisons et même des immeubles, des immeubles pour les immeubles.

Amir avait ouvert les yeux sur …….. le paradis des immeubles.

Mais… comment… c’est possible ?

- et bien tu vois ma mission ici, c’être d’être un reconstructeur de déconstruction

Amir ne compris pas sur le moment mais le petit bonhomme ferma la porte et l’emmena près de la grosse molette…

- Tu vois ca et bien, les démolitator pensent qu’ils ont le pouvoir, les petit tours que je joue c’est pour leur montrer que nous ne sommes pas que de la matière nous avons aussi des vies, par exemple j’ai aidé madame Betina a trouvé un travail de concierge dans l’immeuble, sinon elle allait devoir partir d’ici et il en était hors de question. Et puis l’appartement était tombé en dépression depuis le départ de l’ancien concierge alors il m’a demandé de trouver une solution, le pauvre il était triste a nous faire un dégât des eaux, j’ai du agir.

Amir mon cher ami, le pays des immeubles est comme une nouvelle vie pour eux, ils peuvent enfin, partir léger, les locataires, sont relogés dans des endroits bien plus agréables et puis vogue la modernité après tout moi je redonne la vie, et toi tu es mon macaroni au fromage !!!

- Yahaaaaaaaaaaa, le bout de bois sauta sur le fauteuil et prit Amir par la main, et d’un cou d’un seul l’ascenseur avec la musique d’ambiance, les enveloppaient.
- Vous êtes arrivé à la surface chers amis, bonne journée, aubregado, ciao asta vista baby……
Ils se retrouvèrent a la surface au pied du cèdre un peu abasourdis par toutes ces nouvelle d’un coup tombés sur la tête d’Amir….

Amir amusé se retourna vers le cèdre et pensa d’un ton un peu grave comme sharzenegger dans terminator………. « i’ll be back » !!

Un clin d’oeil et, Amir et le bout de bois, se trouvèrent de nouveau dans la chambre pleine d’avion…
- Je comprends les avions bout de bois, un nouveau monde il aura bientôt des ailes.

- Oui et toi mon petit Amir tu vas devoir accompagner ton grand père dans ce moment tu sais il est arrivé avec plein de joie plein d’espoir et aujourd’hui il va devoir partir il va voir sa maison devenir poussière

-mais on pourrait lui montrer ?

non il ne peut pas savoir, sinon laisse tomber je vais être overbooké les journalistes les télévisions puis il ne pourraient pas comprendre, nous ne sommes que des objets pour lui tu sais les regles sont bien strictes, je choisis une personne pour lui expliquer tout cela, toi tu vas le garder au fond de ton cœur, tu ne t’en souviendra pas après mais tu pourras ressentir les sentiments de ton grand père tu pourras connaître ses joies, moi je ne fais que remettre en état l’immeuble avant son départ, j’essaie de lui redonner une jolie robe, et quand ca fait boum !!!!!!!!!!!!!!! il s’enfonce sous le cèdre et part derrière la porte jaune. il aura comme ca , une nouvelle vie, sa vie d’immeuble quoi!!!!
et tout le patacaisse des démolitators, c’est pour faire bien !!! Il se la joue grave eux !!!


Amir repris sa journée du lendemain en pensant a cette nuit un peu farfelue… mais en se disant que son grand père avait du passer des années magnifique entourée de gens affectueux et qu’il avait eu beaucoup de chance.
Au petit matin il arriva vers Saj et lui assignat un bisous!!! Comme jamais il n’avait pu lui montrer.

-Foi de papy saj ca me fais plaisir…..

il avait lui aussi vu des phénomènes étranges mais il ressentait les choses sans vraiment pouvoir les expliquer…

Le jour du badaboum arriva et Amir n’avait jamais revu le bonhomme de bois ils avaient démanger un mois après cette nuit si inattendue, Amir avait bien entendu que les démolitator avaient eu du mal a se frayer un chemin dans les couloirs, que plusieurs événements avaient retardé la démolition mais jamais de signe du petit bonhomme de bois, jamais un bruit de ficelle depuis cette nuit comme s’il avait finis sa mission…. Mais Amir savait qu’il ne serait pas loin au moins pour veiller sur son QG.


BADABOUMMMMMMMMM
Une petite fille poussa un cri et se blottit dans les bras de sa maman. Un vieil homme laissa tomber une larme pendant qu’un homme brayait pour se donner un peu de constance, comme s’il avait eu envie d’exorciser sa peine, face à cet événement qui prenait l’attention de tous les cheneveliers. Ou peut-être voulait-il simplement avoir son moment de gloire lui aussi…

Et le reste de la population applaudissait comme un nouveau souffle qui venait de s’immiscer dans leur cœur et leurs poumons des alvéoles plus claires plus moderne plus sereines.
Parmi toute cette foule, SAJ les yeux levé dans le vague avait été frappé de plein fouet comme un zoom sur l’histoire un flashback, un moment ou son cœur s’était arrêté de battre il prit la main d’Amir et la serra très fort.

Pour la première fois Amir parla et dit a son grand père :
« SAJ PAPY, Le Cèdre qui veille sur Charcot et qui veille sur le Temps déploie ses branches comme une tulipe qui éclore, pour ouvrir ses larges bras verts au soleil »
Et la lumière fut.

Asta la vista ciao bye…… yahaaaaaaaaaaaaaaaaa

Helen RINDERKNECHT

jeudi 15 mai 2008


LA NOUVELLE DE PATRICE EPERY
Hystéries en Charcotzie


Au pied de la première cage de Charcot, une brochette de jeunes merguez en liesse, à commencer par Zobi et Zoba, siamois inséparables, tels les doigts de la main. Zobi, c’est celui qui dit ci, qui dit ça, et cetera. Zoba, c’est celui-là qui fait comme le frère aîné, pointant ad vitam æternam un majeur impudique à la manière du grand khouya – geste atavique poussé à son comble. Ceci dit, la vie des quartiers est faite de signes, pas toujours très catholiques, genre faire la nique au passant ou au chauffard. Car Zoba, c’est aussi le quèquet qui, faute de BMW, roule des mécaniques en Ferrari XL sur la voie publique, pendant que Zobi lui indique la ligne de conduite : tout droit et bien profond ! A ce petit jeu, Momo n’est pas en reste avec son sixième doigt hérité du bon Dieu, bien qu’il eût préféré l’avoir au bout du pied, zizouite oblige ! Remarquez, douze bagouzes rutilantes en guise de volant, wal-lah qu’ça fait trop classe !! Dommage que le R.M.I. ne permette pas de quitter le parking… surtout pour le dernier de la smala : Moustapha l’intello, rebaptisé Moustacha par les barbus en raison de son menton glabre un poil préislamique et d’autant plus ignorant des plaisirs de ce monde qu’il est épileptique :
– Pi-lep-tique, ch’te dis, moi ! Ça veut dire qu’il va m’gerber partout dans la caisse si j’le laisse conduire, à cause de l’amiante ! Même qu’on va tous attraper la maladie si on change pas d’immeuble !, avertit Momo, du haut de son BEP en BTP.
– Nique ta miante ! Zoba et moi, faudra nous kärchériser mais on bougera pas !
– Tête de ma mère, on a trop d’souvenirs ici ! Nique ta miante !, confirme Zoba à grand renfort de gesticulations sans équivoque.
– Tranquille, khouya, l’épilepsie, c’est une maladie congénitale qui…
– … qui t’attaque taf-taf les glaouis et l’zob, quoi, style Gégène, explique Zobi avec la gravité du Musulman sur le point de se faire décapsuler…
Coca Cola en bouche, tam-tam entre les cuisses, l’Afrique noire célèbre à sa façon la fin de l’esclavage, dans la cage d’à côté : rythmes déchaînés, déhanchements dégingandés, ondulations lascives de popotins subitement pris de spasmes convulsifs, lolos trépidants ballottant en tous sens sous les yeux envieux de voisines acculées aux youyous. A croire que le sourire Banania n’est pas une légende si l’on exclut les rappeurs encapuchés, prompts à fustiger la ghettoïsation et le travail en chaîne, collier de misère des « travorés » : bombyx fugitifs parfois séropositifs, dévorés par l’angoisse d’être sans papiers. Négritude chevillée au corps, caractère bien trempé, Amadou, alias Black Slammer, a la langue bien pendue :
– On nous prend tous pour des doudous, en souvenir de nos ancêtres asservis ou tombés pour la Mère Patrie ! Inch’ Allah, y aura bientôt plus d’arbre à palabres et le macaque pourra passer de l’ombre à la lumière, sans matraque !
– Yo, man !, vocifère Babylone, le cheveu en pétard :
La négraille, c’est pas du bétail !
Le négrillon sortira du béton,
Parole de griot, frérots !
A deux pas de là, devant les portes du ghetto numéro 3, la COTOREP se met en branle : Ritals brisés fiers de participer au 40ème anniversaire d’un bâtiment construit de leurs propres mains et à la sueur de leur front, Bougnouls boiteux encore meurtris dans leur chair d’éternels ouvriers corvéables à merci, Portugues pas bien gais à l’exception des jours de morue et de PMU – normal lorsqu’on est balayeur de père en fils et femme de ménage par tradition –, sans oublier les Français de souche, ceux d’en bas, Gaulois éclopés trop heureux d’être relogés sous peu, à la même enseigne que leurs compagnons d’infortune. Egalité, quand tu nous tiens !
Loin d’employer leur temps à peigner la girafe et regarder les mouches voler, les colocataires de la dernière cage d’escalier, les fameux primo-arrivants venus massivement de l’Est, s’occupent à écumer rues et avenues en quête de niches d’intégration, vaille que vaille, coûte que coûte, et les bruits de couloirs vont bon train. Il paraît même que certaines filles habillées mi-touffe exerceraient leurs charmes à hauteur du SMIC, au grand dam des vertueuses déjà sur le qui-vive ! Personnellement, je me méfie des racontars, étant moi-même originaire du Liban, le pays aux mille et une confessions, dont la mienne :
– My name is Cedrus !

Un mois plus tard, le 17 avril 2008, à 11 heures pétantes, Charcot s’offre un relooking façon 11 Septembre : djebel de pierres à portée de main, de quoi alimenter l’Intifada jusqu’à la solution finale : salam-shalom ! Sa Sainteté l’Imam Khomeiny n’avait-elle pas dit en son temps que le sang doit couler le long du chemin qui mène à la paix ! ? Mais écoutons plutôt les réactions de Zobi et ses sbires :
– Zyva ! Comme i' nous l'ont morflé grAAAve, le Charcot ! C’est Beyrouth à la sauce bonbie, j’vous dis, moi ! !
– Trop balaise l’éclate du bât' en moins de deux ! Tête de ma mère, les chtarbés qu’ont fait ça, i' z' ont au moins le bac de BTP !, s’exclame un Momo bouche bée.
– Nique sa race, l’ingénieur de mes deux, c’est un fiuj ! Même que j’ai lu son nom sur le bolide du chantier : Ma-ni-tou, c’est comme Benichou ou Benamou !, surenchérit le zélé Zoba.
Dieu soit loué, Mouss l’intello préislamique est là pour rétablir la vérité historico-linguistique :
– Manitou, c’est l’nom d’une entreprise qui fabrique des monte-charges, qu’on appelle aussi manitous. Rien à voir avec les Juifs !
– N’empêche qu’il est zarbi, ton manitou !, insiste Zoba, la moue pleine de suspicion.
– Laisse béton ! Khouya ! Et si on allait zyeuter de plus près ? Yallah ! Yallah !, s’enthousiasme le binoclard de la bande.
A l’ombre de mes branches déployées en majesté, une paire de monticules hérissés de picots rappelle bizarrement les Monts du Zab et semble faire l’admiration d’une tripotée d’Algériennes en émoi : gazelles ébahies devant autant d’érotisme en place publique, fatmas toutes chamboulées par le souvenir juvénile des années bled, Kabyles ridées fondant à chaudes larmes ; Harkis pétrifiés face à pareil spectacle de désolation, qui ne leur est pas étranger. Difficile d’évaluer le traumatisme mental, le mal-être que provoque la disparition soudaine d’un être cher, à l’image de feu ce moucharabieh géant, cette Tour de Babel où longtemps se sont côtoyés à l’unisson Blacks, Blancs, Beurs. Seule demeure la mémoire vivace, inextinguible, des âges de la vie, des émotions intimement ressenties ou partagées, chacun s’essayant à suivre sa destinée entre sagesse et folie : mektoub ! Le sort en est jeté !

Conscients de la fêlure maintenant visible, les marabouts plumeurs et autres diseurs à cœur ouvert s’abattent alors sur leurs proies avides de baraka et de p'tit chez-soi : l’heure de la reconstruction a sonné et il faut tourner la page.



Patrice EPERY
patrice.epery@tele2.fr
Atelier d’écriture de M. BENFODIL
Avril 2008