jeudi 15 mai 2008


LA NOUVELLE DE PATRICE EPERY
Hystéries en Charcotzie


Au pied de la première cage de Charcot, une brochette de jeunes merguez en liesse, à commencer par Zobi et Zoba, siamois inséparables, tels les doigts de la main. Zobi, c’est celui qui dit ci, qui dit ça, et cetera. Zoba, c’est celui-là qui fait comme le frère aîné, pointant ad vitam æternam un majeur impudique à la manière du grand khouya – geste atavique poussé à son comble. Ceci dit, la vie des quartiers est faite de signes, pas toujours très catholiques, genre faire la nique au passant ou au chauffard. Car Zoba, c’est aussi le quèquet qui, faute de BMW, roule des mécaniques en Ferrari XL sur la voie publique, pendant que Zobi lui indique la ligne de conduite : tout droit et bien profond ! A ce petit jeu, Momo n’est pas en reste avec son sixième doigt hérité du bon Dieu, bien qu’il eût préféré l’avoir au bout du pied, zizouite oblige ! Remarquez, douze bagouzes rutilantes en guise de volant, wal-lah qu’ça fait trop classe !! Dommage que le R.M.I. ne permette pas de quitter le parking… surtout pour le dernier de la smala : Moustapha l’intello, rebaptisé Moustacha par les barbus en raison de son menton glabre un poil préislamique et d’autant plus ignorant des plaisirs de ce monde qu’il est épileptique :
– Pi-lep-tique, ch’te dis, moi ! Ça veut dire qu’il va m’gerber partout dans la caisse si j’le laisse conduire, à cause de l’amiante ! Même qu’on va tous attraper la maladie si on change pas d’immeuble !, avertit Momo, du haut de son BEP en BTP.
– Nique ta miante ! Zoba et moi, faudra nous kärchériser mais on bougera pas !
– Tête de ma mère, on a trop d’souvenirs ici ! Nique ta miante !, confirme Zoba à grand renfort de gesticulations sans équivoque.
– Tranquille, khouya, l’épilepsie, c’est une maladie congénitale qui…
– … qui t’attaque taf-taf les glaouis et l’zob, quoi, style Gégène, explique Zobi avec la gravité du Musulman sur le point de se faire décapsuler…
Coca Cola en bouche, tam-tam entre les cuisses, l’Afrique noire célèbre à sa façon la fin de l’esclavage, dans la cage d’à côté : rythmes déchaînés, déhanchements dégingandés, ondulations lascives de popotins subitement pris de spasmes convulsifs, lolos trépidants ballottant en tous sens sous les yeux envieux de voisines acculées aux youyous. A croire que le sourire Banania n’est pas une légende si l’on exclut les rappeurs encapuchés, prompts à fustiger la ghettoïsation et le travail en chaîne, collier de misère des « travorés » : bombyx fugitifs parfois séropositifs, dévorés par l’angoisse d’être sans papiers. Négritude chevillée au corps, caractère bien trempé, Amadou, alias Black Slammer, a la langue bien pendue :
– On nous prend tous pour des doudous, en souvenir de nos ancêtres asservis ou tombés pour la Mère Patrie ! Inch’ Allah, y aura bientôt plus d’arbre à palabres et le macaque pourra passer de l’ombre à la lumière, sans matraque !
– Yo, man !, vocifère Babylone, le cheveu en pétard :
La négraille, c’est pas du bétail !
Le négrillon sortira du béton,
Parole de griot, frérots !
A deux pas de là, devant les portes du ghetto numéro 3, la COTOREP se met en branle : Ritals brisés fiers de participer au 40ème anniversaire d’un bâtiment construit de leurs propres mains et à la sueur de leur front, Bougnouls boiteux encore meurtris dans leur chair d’éternels ouvriers corvéables à merci, Portugues pas bien gais à l’exception des jours de morue et de PMU – normal lorsqu’on est balayeur de père en fils et femme de ménage par tradition –, sans oublier les Français de souche, ceux d’en bas, Gaulois éclopés trop heureux d’être relogés sous peu, à la même enseigne que leurs compagnons d’infortune. Egalité, quand tu nous tiens !
Loin d’employer leur temps à peigner la girafe et regarder les mouches voler, les colocataires de la dernière cage d’escalier, les fameux primo-arrivants venus massivement de l’Est, s’occupent à écumer rues et avenues en quête de niches d’intégration, vaille que vaille, coûte que coûte, et les bruits de couloirs vont bon train. Il paraît même que certaines filles habillées mi-touffe exerceraient leurs charmes à hauteur du SMIC, au grand dam des vertueuses déjà sur le qui-vive ! Personnellement, je me méfie des racontars, étant moi-même originaire du Liban, le pays aux mille et une confessions, dont la mienne :
– My name is Cedrus !

Un mois plus tard, le 17 avril 2008, à 11 heures pétantes, Charcot s’offre un relooking façon 11 Septembre : djebel de pierres à portée de main, de quoi alimenter l’Intifada jusqu’à la solution finale : salam-shalom ! Sa Sainteté l’Imam Khomeiny n’avait-elle pas dit en son temps que le sang doit couler le long du chemin qui mène à la paix ! ? Mais écoutons plutôt les réactions de Zobi et ses sbires :
– Zyva ! Comme i' nous l'ont morflé grAAAve, le Charcot ! C’est Beyrouth à la sauce bonbie, j’vous dis, moi ! !
– Trop balaise l’éclate du bât' en moins de deux ! Tête de ma mère, les chtarbés qu’ont fait ça, i' z' ont au moins le bac de BTP !, s’exclame un Momo bouche bée.
– Nique sa race, l’ingénieur de mes deux, c’est un fiuj ! Même que j’ai lu son nom sur le bolide du chantier : Ma-ni-tou, c’est comme Benichou ou Benamou !, surenchérit le zélé Zoba.
Dieu soit loué, Mouss l’intello préislamique est là pour rétablir la vérité historico-linguistique :
– Manitou, c’est l’nom d’une entreprise qui fabrique des monte-charges, qu’on appelle aussi manitous. Rien à voir avec les Juifs !
– N’empêche qu’il est zarbi, ton manitou !, insiste Zoba, la moue pleine de suspicion.
– Laisse béton ! Khouya ! Et si on allait zyeuter de plus près ? Yallah ! Yallah !, s’enthousiasme le binoclard de la bande.
A l’ombre de mes branches déployées en majesté, une paire de monticules hérissés de picots rappelle bizarrement les Monts du Zab et semble faire l’admiration d’une tripotée d’Algériennes en émoi : gazelles ébahies devant autant d’érotisme en place publique, fatmas toutes chamboulées par le souvenir juvénile des années bled, Kabyles ridées fondant à chaudes larmes ; Harkis pétrifiés face à pareil spectacle de désolation, qui ne leur est pas étranger. Difficile d’évaluer le traumatisme mental, le mal-être que provoque la disparition soudaine d’un être cher, à l’image de feu ce moucharabieh géant, cette Tour de Babel où longtemps se sont côtoyés à l’unisson Blacks, Blancs, Beurs. Seule demeure la mémoire vivace, inextinguible, des âges de la vie, des émotions intimement ressenties ou partagées, chacun s’essayant à suivre sa destinée entre sagesse et folie : mektoub ! Le sort en est jeté !

Conscients de la fêlure maintenant visible, les marabouts plumeurs et autres diseurs à cœur ouvert s’abattent alors sur leurs proies avides de baraka et de p'tit chez-soi : l’heure de la reconstruction a sonné et il faut tourner la page.



Patrice EPERY
patrice.epery@tele2.fr
Atelier d’écriture de M. BENFODIL
Avril 2008

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Hello Mustapha, je n'ai pas pu rattraper le retard de lecture sur ce blog, trop de travail en ce moment...Mais je pars quelques jours voir ma mère, j'aurai, un peu plus de temps disponible. En tout cas bravo pour ce blog, je t'envoie plein d'amis, j'espère qu'ils viennent. Je te bise