jeudi 8 mai 2008


LA NOUVELLE DE BRUNO


Comme un arbre dans la ville




« - Salut, Louis !
- Bonjour Lucien, que vont-ils faire de tous ces trous ?
- Sûrement des blocs de béton, comme là-bas.
- Salut les vieux, vous regardez les fondations ?
- Oui, qu’est-ce que cela va donner ?
- Un bâtiment de dix étages.
- Ouais, il va falloir faire le tour pour aller aux « marronniers » !
- Mais non, ils ont prévu un passage en plein milieu.
- Bonjour, Monsieur le Maire ! pourquoi tous ces grands bâtiments ?
- Il en faut pour loger tous ces gens qui viennent d’ailleurs et surtout d’Afrique.
- Ils ne peuvent pas rester chez eux !
- Mais ils viennent travailler, faire ce que les français ne veulent plus faire.
- C’est surtout de la main d’œuvre bon marché pour fabriquer un peu plus de miséreux.
- Mais non, il ne faut pas dire des choses pareilles.
- Ils nous ont fait la guère, nous n’avons pas besoin d’eux, il y en a déjà assez.
- Cela ne va pas être facile pour tout le monde.
- Mais si, vous verrez !... »

Ainsi parlaient les anciens en ses années soixante finissantes. Du moins ceux là ne verront pas ce que nous allons faire pour l’avenirs. Tout le monde en parle, mais pourquoi ? Ce n’est qu’une page à tourner, d’autres sont tombés avant lui, en plus ou moins longtemps et certainement d’autres après.
Les anciens l’ont commenté,
Une génération l’a fait,
Une autre l’a démoli au nom du progrès.
Ne dit-on pas que l’accouchement se faisant dans la douleur, nous permet la joie de l’après, l’espoir du lendemain ?

Ahmed et Nadia ont emménagé ce matin. Ils arrivent d’Afrique du Nord avec « armes et bagages ». ce sont les premiers habitants. Emplis d’un espoir sans fin, lui va travailler dans le bâtiment et elle,elle ne sait pas. Elle va l’attendre tout ce temps. Peut-être trouvera t-elle des ménages dans le vieux bourg.
D’autres arrivent encore, de partout, de la région, du Portugal ou d’Asie. Tous ne parlent pas bien le français, et, même certains, pas du tout. Ils sont partis de chez eux à cause de la misère et du chômage, parfois, un exil politique, qui sait ?

« Charcot » quel rapport avec ce grand homme, ce scientifique d’entre deux siècles ?
un ensemble laid pour d’aucuns, si confortable à d’autres. Car le confort en ces temps de changement, était une cabane au fond du jardin pour les besoins. L’eau courante bien fraîche au fond du puit où il ne fallait pas jouer autour.
Point d’eau chaude, ni de baignoire à domicile ; un vieux baquet métallique est sur la cuisinière à bois, la lessiveuse où chauffait l’eau puisée. Mais dans « Charcot » tout cela est ! et pour monter… un ascenseur, comme ceux des grands hôtels !

« - Ahmed, elle est belle notre maison !
- demain, Nadia, Farid arrive.
- Je suis contente, je pourrais bavarder avec Fatima.
- Non, il vient seul, elle ne peut pas venir.
- Pourquoi ?
- Pas de papiers, les français n’en veulent pas.
- Alors, nous l’accueillerons souvent ».

Dans la rue en construction, les gens observent, épient. « - tiens, les jardiniers plantent un cèdre ! » Aucun avenir pour cet arbre, il est comme celui de la chanson. Il est vraiment petit, écrasé par la masse du vaisseau de béton. Et ces couleurs, ils ont des goûts … Bientôt personne n’y pensera plus, la vie continu avec ses manifs qui vont tout chambouler.

Quelques années ont passé. Fatima a pu venir avec ses enfants. Nadia fait des ménages, avec Samir, Khaled et Noria, elle n’a plus beaucoup de temps libre.
Les voisins, qui sont-ils ? sur le palier, des bonjour, au revoir, quelques discutions s’engagent parfois. Mais la routine et les différences aidant, chacun reste chez soi. Seuls, les enfants se connaissent bien. Khaled aime à parler avec Paul et Manuela, les petits portugais de la cage d’à côté. Avec les fils de Fatima, ils vont jouer sous le centre commercial, devant l’immeuble. Là où il y a de la vie, là où tout est gris sous le soleil.

Les longues soirées d’été, après les dures journées, les hommes se retrouvaient au café du centre, à refaire le monde, et à parler de nostalgie. Quand aux femmes, elles s’asseyaient sur les banc au pied de « Charcot », pour surveiller d’un œil distrait les enfants, tout en conversant d’hier, d’aujourd’hui et du lendemain. Quelque fois, une du bourg venait les accompagner dans leurs rêves et leur fatigue. Dans ces années soixante-dix, les allés et venues des voisins ponctuaient le quotidien. Les uns s’en allaient, d’autres les remplaçaient, et tout recommençait. Le village « Charcot » tenait la barre droite ; en avant toute pour un voyage dans les ans et vers une vie, ni mieux, ni pire. Une existence paisible qui aurait pu durer sans les hommes nouveaux et l’usure du temps.

Depuis, le Lucien, le Louis, même l’ancien Maire, tous reposent au cimetière. Ils se racontent certainement de vieux souvenirs de jadis. Aux temps bénis où tous les fantasmes étaient permis. Et puis après, quand ils sont venus, ces étrangers au village, habitaient à « Charcot », Peggy et les autres ! mais ce qu’ils ne comprennent pas, pourquoi ceux là ne viennent pas au cimetière, ici, où ils ont vécu ? pourquoi retourner là-bas, au bled ? Un jardin en vaut bien un autre ! Même si c’est le « dernier ».

Khaled et Paul sont trentenaires et leurs enfants goûtent la vie du haut de leurs dix ans. Ils ont réussi à habiter l’un, dans « Charcot », l’autre, pas loin, dans la
Z. U. P. Ils se retrouvent au café comme le faisaient leurs pères. Khaled s’est marié avec Sylvie, une française et Paul à épousé une fille d’une autre ville, italienne d’origine… je crois. Dans leur conversation, un peu d’amertume.

« - A quoi cela a servi d’aller au collège ?
- Paul, c’est pour mieux nous contrôler.
- Pour travailler comme manœuvre…
- Te plains pas trop, nous aurions pu être chômeurs. Regardes maintenant.
- Et les enfants ?
- Ils sont difficiles et ne savent plus a quoi passer leur temps.
- Et, Samir et ta sœur qu’est-ce qu’ils deviennent ?
- Samir est à Paris. Noria est mariée avec Houssine, le fils à Farid.
- Ah, oui, ton voisin.
- Et Manuela ?
- Elle est avec un français et sont partis à la campagne pas loin.
- Quand j’y repense, nos parents où ils en sont. Ils ont travaillé toute leur vie à traîner la misère.
- Eux, cela va encore, ils ont réussit à manger à leur faim. Regarde Jean-Paul et Rachid ce qu’ils font à vingt ans.
- Ils vivent dans leurs appartements avec le R. M. I.
- De toute manière, cela finira mal. Tout est à refaire.
- Comment faire table rase ?
- Oui, peut-être ! »

Il est vrai que tout ce qui a représenté l’espoir d’une vie meilleure s’est terni avec le temps. L’habitude est compagne de désillusions, et « Charcot » est un vieillard de trente et quelques printemps. Seul le petit cèdre s’est embelli avec l’âge. Il est majestueux et fier au pied du colosse.
Peut-être la dernière génération, celle qui aura vingt ans s’éveillera sous un jour révolutionnaire. Un monde qui devient de plus en plus violent. Les écorchés vifs de la société n’ont pas de rêves, seulement un peu de haine et de rancœur. Ils détestent ces géants aux couleurs passées. Ikram, elle ne pense qu’à partir, s’enfuir vers un monde meilleur.
Momo a la rage en lui. Il ne pense qu’a détruire tout cet univers, sa prison comme il le dit. Avec sa bande de copains, il traîne au pied de ces immeubles infâmes. Ils ne cache même plus lorsqu’une ronde de « keufs » passe à côté d’eux. Plus tard, ils iront fumer dans une cave et s’éclater. Shérif et Jean rallumeront virtuellement les feux d’un soir de novembre, juste pour la rigolade.

« - bonjour, Grand-mère, mais tu pleurs ?
- ce n’est rien Ikram.
- Mais si, ils t’ont fait quoi ?
- Il faut partir d’ici.
- Pour aller où, et Grand-père ?
- L’immeuble doit être détruit, nous devons déménager.
- C’est super, tu vas avoir un appart tout neuf !
- Oui, mais j’aimais ma maison, les voisins sont gentils.
- Vous en aurez d’autres, et puis ce bâtiment est vieux et moche.
- Il est vieux comme nous.
- Achetez une petite maison, comme celles qui sont vers la chaufferie.
- Avec quel argent ?
- Il y a des bâtiments tous neufs là-bas.
- Ce n’est pas pareil, nous, notre vie est ici ! ici, c’est notre village.
- Téléphones à papa, il va t’aider. »

Et, Nadia, regarde sa petite fille partir. « c’est un soleil ma petite » pense-t-elle. Un sourire triste aux lèvres, elle se remet à sa tâche. Car demain c’est la fin du ramadan et il faut préparer le repas. Des repas comme celui la, il y en a eu, et c’est le dernier à « Charcot » ; il aura un goût bizarre, différent… le bonheur ne sera pas le même. Pour elle commence une longue veillée, à la lueur des souvenirs. Les belles soirées d’été à l’ombre du cèdre, les naissances des petits et des plus petits, avec les fêtes de famille. Les conversations avec les voisins, les amis, toutes ces relations nourries au fil du temps. Les courses sur le centre, la poste pas très loin… Nadia contemple la panorama de sa fenêtre, elle apprécie cette vue devenu si banale auparavant. Jamais elle ne retrouvera un tel spectacle. Ahmed lit le dossier de relogement déposé par la mairie. Si il le désire, il sera aidé. Mais personne ne peut l’aider, sa solitude est immense. Il lui faut quitter son univers, son monde à lui et à Nadia, la trame de leur vie. Ils leur faudra tirer un trait sur des années de bonheur, un bonheur simple, sans prétention.

Bientôt, le jour arrivera et il faut admettre l’inévitable. Ahmed et Nadia ont trouvé un nouveau logement, le long de la Route des Grands Crus. A côté, un grand terrain pour la promenade, devant leur appartement, un petit morceau de verdure. Ce n’est plus un grand bâtiment, non, juste quatre appartements et un hall d’entrée. Nadia s’ennui sans ses anciennes voisines, mais n’en parle pas. Toute la famille est au petit soin. Ahmed s’en va toujours au café sur le centre, il écoute les jeunes parler, mettre à mal son ancienne maison et toute son époque. Comme si ils ne pouvaient comprendre sa détresse. Pour eux, lui et ses semblables ont tout quitté, leur pays, leur famille. Pour les vieux comme lui, Charcot était le refuge, le pont entre les époques. Il était le phare qui ramène les marins égarés au port. Il était RA, le Dieu qui veillait sur les égyptiens. Ces enfants ont perdu les repères, ils n’ont plus les pour les guider, que le hasard. Le grand désir pour Ahmed, c’est avoir d’autres petits enfants. Sa plus grande réussite, ce n’est pas la fortune, non, c’est d’avoir une belle famille, que ses enfants soient armés pour affronter l’avenir. Alors Charcot restera un merveilleux souvenir.

Ce matin d’avril, un grand nombre de personnes s’affairent autour de la carcasse vide de Charcot. De nombreux badauds contemplent le vieux « paquebot ». Ils attendent l’instant où tout sera fini. Puis d’un coup la structure de béton ploie au milieu et tombe dans un abîme de poussière. L’instant d’après, seul, le vieux Cèdre apparaît, grisonnant mais sauf. Il surplombe à son tour un immense tas de gravas. Le géant n’est plus. Il a laissé sa place à un ciel nuageux et triste. Seul un brouhaha sourd monte de la foule.



Bruno,
Né le 09 novembre 1958

Couvreur Zingueur de son métier

Nouvelle du 25 avril 2008





Certes, il n’était pas construit très beau !
Symbole de renouveau et de bonheur,
De béton et de fer, le grand bateau,
Coquille pleine de vie, de labeur.

Charcot navigue sur un flot d’encre.
Ami de ceux qui ont vécu dedans.
Montagne de laideur, née au demi-siècle.
Ephémère à l’usure du temps.

Charcot est allé rejoindre Charcot,
Au pays des lumières blafardes,
Laissant dans les cœurs et dessus les flots,
Des souvenirs gravés en lettres de garde.

Puisse, qu’un relent d’éternité
Permette à l’avenir, un peu de rêve.



Bruno,
Né le 09 novembre 1958

De son métier, Couvreur Zingueur.


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