vendredi 30 mai 2008

En souvenir de notre atelier d'écriture

Par: Nadine Piccolo


« Oh ! Désolé, désolé, je n’ai pas vu l’heure passer et je suis en retard ! Désolé, vraiment ! »
Le vieil homme leva la tête lentement. Surpris, il sourit et détailla le jeune dégingandé qui se tenait debout sur le seuil de sa maison.
- Entre, fais pas d’manière avec les heures, elles ont le temps de te grignoter avant que tu les respectes.
Mustapha fit un pas. Ses yeux avaient du mal à deviner les contours de la pièce tant la pénombre de l’endroit tranchait avec la lumière vive du dehors. Il tordait son chapeau entre ses mains comme un enfant qui cherche le bon moment avant de se lancer pour réciter sa poésie à la maîtresse d’école.
Monsieur Angelo était assis dans un large fauteuil, un trône de sage pour un humble personnage, image que le journaliste qu’était Mustapha, ne put que retenir.
- Alors, je t’attendais. Tu m’as dit dans ta lettre que tu étais pressé de me rencontrer, c’est pas en restant sur le pas de ma porte que tu vas faire ma connaissance.
Toujours fidèle à son image, l’humour en étendard, par ses mots il invita le visiteur à entrer. Sans se lever, il s’empara de la bouteille de vin cuit et servit deux verres, préparés à l’avance.
Mustapha, assis sur le bord du banc, se délectait de l’instant. Il aimait par-dessus tout les premiers mots, les phrases qui donnaient rythme et chaleur à un entretien. Il avait eu bien du mal à obtenir ce rendez-vous. Non que l’homme en face de lui soit une figure tant réclamée qu’il faille patienter pour le trouver disponible, mais plus que cette journée, ce moment, était si important pour lui, pour son projet, qu’il avait refusé de précipiter les choses. De jours en dates, de mois en saisons, il avait tenu un carnet des « possibles » et c’était en ce matin d’avril, lune montante ou autre, allez savoir, qu’il se tenait enfin devant lui.
Après un long moment de silence réciproque, il s’enhardit :
- Voici ce qui m’amène. Vous avez par le passé écris de nombreuses nouvelles, des textes forts ou intimes qui tous étaient liés aux immeubles que vous avez vus construire et détruire ensuite. J’ai cherché de longs mois si vous aviez rédigé quelques lignes sur Charcot, une barre qui se situe à Chenôve en Côte d’Or, mais curieusement, je n’ai rien trouvé. Ces frères d’armes oserais-je dire, ont eu l’honneur de votre plume mais lui : pas ! Pouvez-vous m’en parler, ou me dire simplement pourquoi ???
Le vieux ferma les yeux. Une liste variée défilait dans sa mémoire, classement des évènements, recensements des coups, des hommes, des voix, des jours à traquer l’évènement. Episodes qu’il avait traversés et qu’il avait chaque fois retracés en articles ou textes divers. Oui, il se souvenait… Charcot, le fier. Charcot à la proue d’un navire qu’était le mail. Charcot celui qui ne se laissa pas prendre, et pour cause…
- Ah ! Tu me fais un drôle de cadeau mon gars ! On pense souvent que les vieux avec le temps perdent la mémoire ou qu’ils s’accommodent de la trier à leur façon. Si seulement je faisais partie de ces sages là quelques fois. Mais non ! J’hésiterais tout de même si c’était le cas, à y enfouir Charcot et tout ce qui me lie à lui depuis si longtemps...
Mustapha se dandine sur le banc. Il ne pensait pas en venant dans ce petit village, qu’il allait déranger et surtout contrarier ce vieil homme. Sa timidité chronique liée à ses bons sentiments sont mis à mal en un instant.
- Je suis sincèrement désolé si je vous ai blessé en vous peignant de mauvais souvenirs…
Monsieur Angelo éclate de rire, il manque de renverser son verre qu’il vient de remplir pour la deuxième fois.
- Non, petit, tu n’y es pas, ce ne sont pas de mauvais souvenirs, oh que non ! Si tu as du temps, je te raconte ! Assieds-toi dans l’autre fauteuil.
Mustapha s’installe confortablement et Angelo commence à parler.
- Vois-tu, je n’ai pas toujours eu cet air rugueux, ce front si plissé que les petits enfants parfois, me demandent s’ils peuvent y tracer des chemins au feutre non : un jour j’ai été je crois, un bel homme à ce que disaient les filles et à les voir arrondir les épaules, ralentir quand je passais près d’elle, faut croire que c’était un peu vrai. Moi, tu t’en doutes, je ne m’en rendais pas compte. Je parcourais depuis déjà de longues années toute la France, et même parfois un peu plus loin : l’Italie bien sûr, la Belgique quelques fois et l’Espagne. Tous ces voyages dans un seul but comme tu le sais déjà : écrire et écrire encore. Certains se spécialisent en roman de mer, d’autres en aventures montagneuses et bien moi, par le hasard de ma vie d’enfant qui tu ne le nieras pas, instrumentalise très souvent notre avenir, je me suis retrouvé du haut de mes vingt cinq printemps, une obsession en tête : écrire sur les immeubles, ceux qui avaient fait périr mon grand-père et voler le temps à mon père. Je les ai beaucoup haïs tu peux me croire mais curieusement, très vite, j’ai compris que ma démarche n’était pas de toucher ma douleur mais bien de comprendre, de vouloir saisir la mentalité des maçons, la parole de l’ouvrier qui construit pour l’autre, lui qui souvent, n’a pas grand-chose. Savoir aussi ce qui mûrit dans l’esprit de celui qui trouve son camarade mort au fond de la fosse ou qui laisse partir un compagnon, handicapé à vie. Comment fait-il pour remonter sur les échafaudages dès le lendemain ? TOUT tu m’entends, je voulais tout connaître et j’avoue qu’aujourd’hui, certaines paroles, certaines confidences, j’aurais peut-être préféré ne pas les entendre ! Ressers-nous, le vin ne fait du mal que si on le boit avec les lèvres minces, à contre-cœur.
Mustapha un peu gêné, ressert Monsieur Angelo et lui, ensuite. Sa main tremble un peu. Le charisme du vieil homme le perturbe.
- Chaque mois, je faisais un planning, comme on dirait aujourd’hui. Je notais toutes les informations concernant les constructions, celles qui débutaient, celles qu’on allait bientôt fêter, celles également dont l’avenir ne tenait qu’à un fil et dont les murs tremblaient d’avance, avant la destruction. Je traçais le plan de mes périples. Je tenais un carnet de voyage d’un genre particulier où le béton remplaçait la courbe des vagues, les murs bordaient les pages. Je ne prenais des vacances dans telle ou telle région, qu’à condition d’être sûr de pouvoir mener mon enquête au plus près. J’étais insouciant. Je commençai vite à croire que j’avais oublié la naissance de ma quête et c’était un peu vrai. Les plaies se referment si on leur en laisse le temps ou si on les aide, un peu !
Puis un jour d’avril, j’ai appris qu’en Côte d’Or et là, tu vois où je veux en venir… Un immeuble de dix étages allait être déconstruit. Imagine ma joie : ça faisait deux ans que rien de semblable en France n’avait eu lieu. J’étais comme un gosse. Le soir même je préparai mes affaires, pris pellicules, appareil photos et autres bagages et le lendemain sans plus attendre, je partis pour la Bourgogne. Je connaissais déjà les lieux. Mes recherches m’avaient happé quelques années auparavant pour une autre barre non loin de celle-ci. Je trouvai un hôtel pas très cher et pas très éloigné du quartier et profitai des deux jours qu’ils me restaient, pour flâner, parler, recueillir témoignages et images à tout venant. Les démolisseurs sont toujours un tantinet cabotins et c’est donc avec bonhomie qu’ils me permirent de monter dans Charcot, de poser des questions et même de faire leurs portraits journalistiques : du Bonheur !
Je réalisais dans ces moments-là la chance que j’avais, la liberté qu’était ma vie et le peu de contraintes que je m’imposais. Puis, le deuxième soir, parcourant les abords de l’immeuble, je surpris un jeune fille qui se faufilait sous le grillage maintenant apposé tout autour des murs. J’aurais pu passer mon chemin mais je ne sais pourquoi ce soir-là, je la suivis sans l’ombre d’une hésitation. Je marchais sans faire de bruit. Mes pas ne ressemblaient pas au battements de mon cœur qui allait, j’y ai songeai, explosé dans l’instant ! J’imaginais un grand frère me transperçant de sa fine lame, un ouvrier me tirant comme un lapin croyant qu’on venait lui voler son matériel, bref : je n’en menais pas large. Marche après marche, je me suis retrouvé bientôt tout en haut de la tour. J’étais si essoufflé que j’avais du mal à voir clair, mon dos courbé, les mains sur les genoux, je tentais de reprendre l’air et ma dignité. Quand la lueur d’une lampe attira mon attention. Je me plaquai contre le mur et tentai de voir ce qui se tramait tout près. Si tu n’as jamais vu de fée, si à ton âge tu ne sais pas ce qu’est le dessin d’une courbe féminine, si…
A ces mots, Mustapha voulu gentiment protester. Dire son aimée, dire son amour pour elle mais Angelo ne s’interrompit pas pour lui laisser le temps d’évoquer la belle Amina. Celle qui savait s’effacer pour qu’il se détende, le soutenir pour qu’il s’appuie, le faire rire et l’émouvoir, aussi !
- Quand je trouvai l’audace de regarder ce que le mur me cachait, j’eus un véritable choc ! L’implosion mon gaillard, n’est rien à côté de ce que mes yeux découvrirent. La jeune fille entrevue était là, bien là. Nue comme on peut l’être quand on l’est vraiment. Nue et belle, mais belle ! Je ne sentais plus mon corps ou si, mais… trop ! Je ne bougeais plus. Elle entra lentement dans une baignoire oubliée là. Comment l’avait-elle remplie ? ça, je ne pourrais le dire mais ce qui est sûr c’est qu’elle glissa dans l’eau comme un sirène. Ses rondeurs, ses longs bras que j’imaginais soyeux au toucher, me faisaient l’effet d’un cocktail pour soldats. Puis, alors que je me demandais où cette scène allait me mener, elle tendit vers moi la main. Non, ne soit pas tenté de rire. Ce n’est pas un conte. Elle m’invitait véritablement à la rejoindre. Je sais que les bonnes manières demandent à ce que les personnes partageant la même baignire fussent présentées avant mais, avions-nous le temps ? Charcot implosait le lendemain.
Mustapha sourit. Il imaginait la scène, peut-être la pleine lune qui en rajoutait un peu !
- Je ne suis pas très brave à vrai dire devant les filles mais une telle invitation ne pouvait prétendre à un refus. J’avais déjà vécu des « expériences » comme on dit, mais pas de véritable passion, pas d’amour fou dans ma vie. Là, je crois que j’en ai oublié mon nom, l’endroit où était mon hôtel et peut-être même, le but de mon voyage. Nous avons joué de nous, nous avons goûter la peau de l’autre, nous avons laissé la lampe s’éteindre et le jour nous surprendre, blottis, transis, réfugiés l’un contre l’autre. Puis il y a eu les bruits. Les hommes, les groupes de plus en plus nombreux de policiers et de gens du quartier. Tous s’agitaient. Tous plus matinaux que les autres jours pour préparer l’évènement. Ma charmante se redressa d’un bond. Elle était comme prise de panique. Elle tournait sur elle-même, toujours aussi nue que la veille. Je l’aidai à se vêtir et passai sur ses épaules le pull fin que je possédais. Avec tendresse, je tentai de la calmer mais rien n’y fit. Elle voulait une seule chose, redescendre rapidement. J’avais beau lui expliquer que l’implosion n’était pas pour tout de suite, de si bonne heure, elle ne m’entendait plus. Main dans la main, nous avons repris le chemin inverse. Craignant de nous faire prendre, nous avons pris mille précautions pour nous extraire de l’immeuble et pour nous cacher tout près. Je réalisai, dès les premiers rayons pâles tombés sur moi, que tout mon matériel photographique était resté à l’hôtel. Mes notes, mon inséparable carnet où je couchais toutes traces d’un exploit chaque fois que j’y assistais, tout était dans ma chambre. La réalité me surprenait. Je voulus prévenir ma tendre compagne de la nuit que j’avais un chemin à prendre, un but à atteindre mais quand je tournai les yeux, elle pleurait. Vrai ! De grosses larmes inondaient son visage sans qu’elle s’en cache pour le moins du monde. Devant ma surprise non feinte, elle me confia un morceau de vie un peu embrouillé dans lequel je retenus les mots qui me frappaient : pas voir, finir, jamais, fuir, peur, destruction, abri et tant de phrases qui les liaient que je dus l’interrompre gentiment.
Voilà, tu sais tout, tu sais pourquoi je n’ai jamais écris sur Charcot et que je n’ai pas non plus d’images à montrer.
- Mais elle finit là votre histoire ? L’avez-vous revue votre princesse ? Lui avez-vous dit un jour votre quête et raconté votre vie ?
Au moment où le vieil homme allait répondre, une femme entra dans la pièce. Elle posa son panier de linge sur la table et donna avec vigueur, une poignée de main à Mustapha.
- Il veut savoir comment s’est finie la journée de Charcot ?
- Oh ! Canaille… tu ne lui as pas tout raconté quand même ?
La vieille femme disparut dans la pièce attenante. Monsieur Angelo sourit à son invité rougissant.
- Dis-moi au fait, pourquoi voulais-tu que j’écrive AUSSI sur Charcot ? Il y en a bien d’autres que j’ai dû rater depuis.
Se remettant difficilement de ses émotions, Mustapha expliqua.
- Je suis depuis quelques temps, oh ! pas pour longtemps, dans la commune qui l’a vu tomber. J’ai pu avec d’autres mains, écrire quelques pamphlets, notes, nouvelles et autres commentaires ou tranches de vies glanés dans les mémoires ou envies de chacun. Nous avons mis notre cœur dans cette rencontre et je voulais être sûr que nous vous étions en quelque sorte, fidèles ! Le temps à combler le chantier. Les gens du quartier ont presque oublié le décors qui était le sien, avant, mais nous avons voulu lui raconter son histoire, faire revivre un bateau de pierre, une tour qui par moment à repris vie sous la plume de chacun.
- Dis-moi, quels sont ceux dont le nom forment ton groupe et qui ont fait, avec toi, ce bout de chemin tentant ?
- Ils sont nombreux.
- Oui mais moi, j’ai le temps !
- Alors, il y a :
Anne, elle écoute en penchant la tête, doucement, avec beaucoup de respect.
Helen dont la clownerie n’enlève rien à la tendresse, bien au contraire.
Joëlle flamboyante et décidée.
Bruno réservé mais là, avec nous.
Danielle qui se marie bientôt et porte cette date gaiement en elle.
Pascale, elle m’a trouvé, elle m’a tenu la main durant mon séjour et je ne serais pas neutre en parlant d’elle ! Elle est si… Un grand cœur, une grande dame…
Michèle qui se redresse, peu à peu.
Roza, Roza qui ne se contente pas de nous gâter avec de bons gâteaux. Elle nous gâte aussi en mots, avec beaucoup d’humilité…
Nadine, elle semble avoir trois vies et deux ou trois missions à mener chaque fois que je la rencontre.
Fatima, aussi désolée que moi quand elle arrive, elle nous offre en retour chaque soir, son franc sourire.
Sarah, si jeune et si vraie, dont les textes n’ont rien à envier aux grands !
Patrice, il prend des notes et observe, sourit. Il a souvent du mal à repartir.
Chantal qui cache ses talents d’écriture. Qui s’en défend presque !
Marie-Luce, dansante, charmante.
Aurélie, elle a commencer un chemin, certes difficile à parcourir mais à faire. Elle le fait !
- Et bien, en voilà du beau monde !
- Ce n’est pas tout. Si je peux vous dire encore.
- Oui bien sûr, pardonne-moi si je t’ai paru impatient !
- Non non, tout va bien. Je ne vous ai pas encore parlé de Yasmine, notre benjamine, petite furet tranquille qui tout au long de ces soirées est restée là, à attendre sans impatience, participant dans son silence à l’écriture familiale.
Amina… que dire d’Amina ?
- A lire tes yeux, ne me dis rien, j’ai déjà compris ce qu’elle est pour toi !
Mustapha rougit de nouveau.
- Continue, il va bientôt faire nuit et je ne voudrais pas que tu te perdes au retour.
- Azzedine, oui je dois parler d’Azzedine. Des heures durant à œuvrer pour que telle chose soit faite et bien, ou que telle autre réussisse en temps et en heure. Il a été tout au long de cette aventure, le maître d’œuvre. Je manquerai de « mercis » quand je le quitterai !
- Mais les quitteras-tu vraiment ? Tu en parles avec tant de complicité et d’émotion ?
- Oui, je les quitte bientôt mais c’est avec une tendresse au cœur et une certitude qui m’aide véritablement à partir : je suis certain que je reviendrai et que je les reverrai, un jour prochain. Et si ce hasard ne se concrétise que tardivement, la vie est parfois ainsi faite, il est un fil qui nous relie, qui sert de chaîne mais pas d’entrave, c’est l’écriture que nous avons menée ensemble, les mots qui ont mijoté autour de la table et les rires oui les rires et les larmes aussi que nous avons partagés durant des semaines.
- Va, va les retrouver pour la dernière fois alors si j’ai bien compris, et dis-toi que tu as ma bénédiction si je peux dire ainsi. Rien dans tes mots et ton attitude ne semble mauvais. Tu es de cœur et sache que les gens comme toi, je les respecte et les admire. Reviens quand tu veux, si tes pas te ramènent dans le coin et ce jour-là, apporte moi ces textes que vous avez rassemblés pour qu’ils ne fassent qu’un.
Mustapha promis.
Au bout du chemin il se retourna.
Monsieur Angelo le regardait s’éloigner, sa compagne blottie contre lui, la tête tendrement posée contre son épaule.


En mémoire d’un atelier fait
D’artistes amateurs, mais passionnés,
Créateurs aux sens aiguisés par l’émotion,
Qui suivirent Mustapha,
Ecrivain au grand cœur, dans une aventure
Enthousiaste.

Nadine
29/04/08
1h09

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Zut...j'avais laissé un p'tit com'...Il a disparu! Dommage il comportait une bise pour Mustapha, elle a dû se perdre entre Paris et Alger...Donc Re-bise