jeudi 1 mai 2008




Une petite pensée d’Alger


Eh oui, c'est la fin, et nous sommes déjà sur l'autre rive. Ne vous inquiétez pas, nous sommes bien arrivés chez nous, chez vous, à Alger, dans cette maison qui est désormais la vôtre. On est certes crevés mais surtout, surtout, remués, groggy, presque sous le choc. Sous l’effet d’un si beau rêve. On a du mal à manger, à dormir, à respirer. Amina et moi nous posons sans cesse la question : Chenôve eut-il réellement lieu ou bien avons-nous rêvé ? Oui. C’est peut-être un de ces beaux rêves qui vous laissent encore planeur le matin et affreusement triste…
Non, nous n’avons pas rêvé. Vous existez pour de vrai, fort heureusement, et c’est pour cela que l’aventure va continuer. Je vais continuer à publier les nouvelles du Roman de Charcot, et je continuerai à vous donner de mes nouvelles aussi longtemps que les dieux du ouèbe voudront de mes élucubrations.
La journée touche à sa fin et le soleil est parti tôt se coucher derrière l’épaisse brume qui recouvre l’horizon. Du reste, le mythique soleil d’Alger a été morose aujourd’hui. Il était fade, pâlichon, à l’image de mon spleen causé par un violent traumatisme post-chenevelier.
Amina et moi vous embrassons tendrement et que le rêve continue !

Mustapha Benfodil












Une soirée mémorable


Ma résidence à Chenôve est arrivée à son terme. Oui. Déjà. Et elle fut clôturée comme il se doit. La soirée finale aura été un beau feu d’artifice. Elle eut lieu à l’Espace Culturel en présence d’un public magnifique venu écouter en force les bonnes feuilles du Roman de Charcot.
La salle de spectacle fut apprêtée avec soin. Amina ma femme se chargea de la scénographie. Bruno, l’ingé-son et l’artiste lumières, lui a été d’un grand secours. Nadine a fait un travail exceptionnel, elle qui n’est jamais avare en efforts, pour tout mettre en place et régler les moindres détails. Helen y mit beaucoup du sien, elle aussi, ainsi que d’autres mains discrètes qui, tels de joyeux lutins, contribuèrent à la réussite de ce beau spectacle. Les membres de l’atelier d’écriture commencèrent à arriver à partir de 18h. Ils étaient tous sur leur 31. Derniers réglages avant la grande kermesse. Nous avions retenu le principe de casser la hiérarchie scène/salle et de disperser les auteurs aux quatre coins de la salle, au milieu du public. Sur le plateau, il y avait aussi des chaises avec des tables basses autour, comme ailleurs. Amina avait recommandé que le blog fût imprimé et ses pages disposées sur les tables de manière à ce que les personnes qui le souhaitent prennent connaissance de son contenu.
18h45. Valérie ouvre les portes de l’Espace Culturel au public. Les élus municipaux arrivèrent en bon nombre. Je fus placé parmi eux, auprès de M.Jean Esmonin, l’admirable maire par qui tout cela est arrivé. Il m’invita à monter avec lui sur scène, aux côtés d'Adrien Cassina, Pascale Charbonneau ainsi que MM.Roland Ponsaa, adjoint au maire, et Philippe Singer, conseiller à la culture. Les mots que M.Esmonin ainsi que Adrien et Pascale prononcèrent à mon égard me touchèrent au plus profond de moi-même. J’en ai été tout simplement bouleversé. Le maire a même eu une pensée pour ma femme, ce qui acheva de nous honorer. Il insista beaucoup sur la nécessité de renforcer cette passerelle qui s’est jetée entre Chenôve et Alger par le biais de cette résidence, et qui a commencé, dois-je le souligner, grâce à l’association Un Livre Une vie que préside ma très chère Assia Yacine. La ville de Chenôve s’était, en effet, considérablement impliquée dans ce pont aérien, un « pont livresque » jeté entre Chenôve et la ville de Tigzirt.
Après les discours liminaires, place aux lectures. Celles-ci s’enchaînèrent à un rythme endiablé, donnant chacune un avant-goût des hautes aptitudes littéraires de leurs auteurs. Je fus comme eux frustré que les extraits soient courts et ne donnent pas toute la mesure de leur force et de leur haute valeur littéraire et humaine. Ils étaient d’autant plus courts que jusqu’à la dernière minute, il continuait encore d’en pleuvoir. Je me suis retrouvé au final avec 15 textes que je continuerai à publier dans cet espace afin que les lecteurs qui le désirent puissent les apprécier dans leur intégralité.

Je n’étais pas peu fier de la prestation de mes collègues. Ils ont été juste épatants. Conformément donc à l’ordre de lecture que j’avais proposé, c’est Nadine qui ouvrit le bal, suivie de Marie-Luce, ensuite Fatima qui lut en présence de ses merveilleux parents, puis Joëlle, ensuite Helen, puis Danielle, puis Pascale, ensuite Bruno, puis Patrice qui fut relayé par Roza accompagnée toujours de sa délicieuse Yasmine, notre petit ange gardien à tous et mascotte de l’atelier. Ensuite il y eut Anne qui donna le témoin à Michèle. Chantal qui rentrait d’une mission nous rejoignit hardîment, suivie par Aurélie, et enfin j’eus l’honneur de fermer la marche. Ce fut trépidant, très fort et très riche, que ce moment que nous avons partagé. A la fin de cette première partie, le public est venu nombreux nous témoigner sa sympathie. J’ai été particulièrement touché de recevoir les hommages d’anciens habitants de Charcot qui tinrent, par leur présence, à saluer cette initiative et nous apporter leur part de lumière. Je voudrais aussi signaler la présence parmi nous de l’artiste algérien, le chanteur Salah Gaoua qui a fait le déplacement de Lyon où il habite spécialement pour assister à cette soirée. Thanemirth, mon frère !
Après un entracte festif, la deuxième partie de notre soirée fut étrennée. Elle était dédiée à la découverte d’auteurs algériens contemporains. Yves-Jacques Bouin, seul sur scène, sans micro, sans rien, juste un spot braqué sur son doux visage, a été époustouflant dans ses lectures. Yves-Jacques est un excellent poète et un comédien de talent. Il dirige avec notre chère Colette La Voix des Mots, et c’est l’un des piliers, voire LE pilier du festival Temps de Parole. Je lui avais donc concocté un petit cocktail de textes, tous publiés dans Les Belles Etrangères- 13 écrivains algériens (L’Aube/Barzakh, 2003). Il s’agit de El Mahdi Acherchour, Hmida Ayachi, Maïssa Bey, Habib Ayoub, Arezki Mellal, Yasmina Salah, Bachir Mefti et Rachida Khaouazem. Un public d’irréductibles était resté avec nous jusqu’au bout pour savourer ces trésors de la littérature algérienne.
A la fin de cette formidable soirée, il devait être 22h, même un peu plus. J’étais sur les genoux mais ô combien heureux et comblé, moi qui étais porté par toute cette foule de lecteurs bienveillants et généreux. La suite de notre fête, je la conterai plus tard…

Mustapha Benfodil











Chenôve m’a tuer…

A l’issue de la soirée littéraire organisée en mon honneur pour la clôture de la résidence d’écriture, je me retrouvai avec tous mes amis de la bibliothèque et de l’atelier d’écriture dans le sous-sol de la Bibliothèque François Mitterrand pour un dîner royal. Autour de la table, d’autres personnes se joignirent à nous. Yves Jacques Bouin, Salah Gaoua, Assia Yacine, l’élue municipale Marie-Paule Cros, la présidente de l’association des Amis de la Bibliothèque Christiane Jacquot ainsi que son mari, et d’autres encore. A un moment donné, Nadine nous honora d’un dernier texte, intarissable comme elle est. Elle y immortalisait avec une rare délicatesse les beaux moments partagés dans l’atelier d’écriture en réservant à chacun un petit mot comme dans un récit d’autofiction. Hervé Scavone nous invita pour sa part à scander l'hymne des fêtes populaires bouguignonnes, et je dus me pilier à la tradition en faisant des entourloupettes avec mes mains comme le veut l'usage, sous le regard hilare de Azzedine. Puis, ce fut le quart d’heure cadeaux. Amina et moi en eûmes pour 500 euros d’excédents bagages minimum. Le clou du spectacle fut lorsque ce joyeux farfadet de Azzedine me tendit un paquet. Je ne fus pas très très surpris d’y trouver, en l’ouvrant, un maillot aux couleur de l’OM. Ce n’est pas étonnant quand on connaît l’attachement viscéral du meilleur chtarbé de la planète DZ pour le club de foot de la Cité Phocéenne. Mais là où j’en suis resté battu comme on dit pour un gardien devant un coup-franc de Zidane, c’est quand Azz. m’invita à voir ce qu’il y avait dans le dos. Le maillot n’était ni au nom Samir Nasri, ni de Cissé, ni de Njang, ni de Karim Ziani, mais d’un certain M.Benfodil, star montante des ramasseurs de balle que Pape Diouf a visiblement ramené durant le Mercato des Etoiles sans aviser ma femme. J’en étais sur-le-cul ! Sur le maillot, il y avait en outre, détail de taille, ce chiffre cabalistique : 21 300.
Après cela, comment dormir ?
Du reste, il n’était pas question de dormir. Pas seulement à cause de toute cette émotion dont j’avais pris plein la gueule, mais aussi de tous les bagages et énormes cadeaux dont j’ai été copieusement gratifié. Je dus en laisser de bien onéreux derrière moi à l’instar de cette belle bouteille bourguignonne qui me fut offerte par la mairie de Chenôve avec, à la clé, un service à verres estampillés Chenôve (que j’ai malheureusement oubliés, ce qui en dit long sur mon étourdissement profond en ces instants de grand désordre émotionnel).
Le lendemain, Valérie, Azzedine et Pascale se pointèrent chez nous, rue des Narcisses, dans notre immeuble de l’école En Saint Jacques. On avait tous la gueule de bois. C’était surtout la gueule de marbre. Dans nos yeux se lisait ce mot écrit en gros caractères « DEJA ! ». Oui, déjà. L’heure est venue de se séparer. Et avec ça, je vous ai laissé de la vaisselle que je ne pus, dans la folie de la veille, laver. Je placardai, pour faire amende honorable, une misérable feuille blanche au-dessus de l’évier, sur laquelle j’avais écrit : JE SUIS DEZOLE ! C’était mon ultime autographe. Je jetai un regard attristé sur cet appartement affectueux, meublé avec amour, qui nous a accueillis ma femme et moi, et lui fis mes aux revoirs la mort dans l’âme.
A la gare de Dijon, je trouvai tout un comité, pas d’accueil, mais…non, pas d’adieux, pas envie de prononcer cet affreux mot. Un comité d’honneur disons…Tous mes amis étaient là : Adrien, Helen, Fatima, Marie-Luce et son adorable fils Maxime, Anne et Patrice, sans oublier Nadine et son fils Hugo que je fus très heureux de retrouver. A un moment donné, Helen sortit des guirlandes d’une boite en plastique comme on sort un lapin d’un chapeau melon. Sur des espèces de pétales blancs, on avait écrit des mots, des noms, des formules à tuer. Oui. Chenôve m’a tuer, eus-je envie de crier, tant j’étais ému, touché jusqu’aux larmes, écrabouillé par tant de sollicitude. Chez nous, il y a une expression populaire qui dit de quelqu’un qui vous « accable » de sa bienveillance : « Il m’a tué d’honneurs ». C’est ce qui m’est arrivé : si on m’avait retrouvé mort sur le quai et qu’on m’avait fait une autopsie, on saurait que c’est cet excès de générosité qui a eu raison de mon pauvre cœur mou. Pascale en remit encore une couche en sortant de sa boîte à merveilles deux autres paquets comme si tout ce trop-plein d’obligeance n’avait pas sufi à m’asséner le coup fatal. Pour me porter l’estocade, elle extirpa de son cœur grand comme un aéroport un dernier paquet qui me toucha tout spécialement : c’était une enveloppe qui contenait son recueil de nouvelles, un tapuscrit de tonnerre de Dieu intitulé : « Les Mal tombés ».
Vous m’avez comblé de cadeaux, mes chers amis, et à présent, je ne peux plus marcher. Vos cadeaux m’ont terriblement touché mais laissez-moi vous dire, sans fioriture mécanique aucune, et sans être désolé : Mon plus beau cadeau, c’est vous !
Dans le petit mot que je prononçai lors de la soirée de clôture, et citant le cas du Dalaï-lama qui a été fait récemment citoyen d’honneur de la ville de Paris par M.Delanöe, j’ai eu l’impudence de demander à être fait Bonbi d’honneur et citoyen du cœur de la ville de Chenôve. M.Esmonin a eu la bonté d’exaucer mon vœu. Je suis donc officiellement des vôtres, on ne peut plus se quitter !
Mille bises et merci pour tout !
Merci d’exister.

Mustapha Benfodil